• Chapitre  4: Paré au décollage                                      

    Au début, il ne se passa rien. L’ascenseur n’avait pas changé d’un iota, si ce n’est qu’à présent, le bouton ne clignotait plus.

    -Qu’est ce que… Commençais-je.

    Mais le corbeau, comme à son habitude, me coupa la parole :

    -Rrrah, foutue vieille machinerie, maugréa-t-il, foutu service de maintenance, foutu vieil ascenseur  rouillé ! Je leur avais dit, moi, à ces p’tits branleurs de techniciens, de la rénover, cette obsolète foutue barque ! Je leur avais bien dit ! Mais est ce que quelqu’un m’écoute jamais ? Non ! Huit milles années de bon et loyaux services pour en arriver à se faire traiter à peine mieux que la racaille du sous sol ! Je leur dirais moi que…

    Lancé à fond dans sa diatribe endiablée, il revint sur son perchoir qu’il se mit à arpenter de long en large, battant rageusement des ailes à chacun de ses pas. Ses croassements indignés résonnaient fortement dans le petit habitacle, sans pourtant parvenir  à recouvrir le sinistre grincement qui semblait provenir de  toutes les parois. L’ascenseur avait commencé à produire ce bruit vers le milieu de son discours,  et il s’intensifiait d’une inquiétante manière.

    -Euh, monsieur…Tentais-je d’abord de le prévenir, lançant un regard affolé au sol de la cabine qui avait commencé à trembler.

     Mais l’oiseau était bien trop occupé à maudire ces « foutus p’tits bon à rien de technicien », et leur mère, et leur grand-mère, et apparemment toute personne ayant un lien de parenté avec eux pour ce rendre compte que le sol de la cabine vibrait de plus en plus fort tandis que l’effroyable hurlement métallique s’intensifiait jusqu’à devenir assourdissant. Les lampes clignotèrent, plongeant l’ascenseur tantôt dans une douce lumière rassurante et tantôt dans une obscurité totale. Je commençais à craindre pour ma vie, où plutôt, pour ma mort. Pouvions-nous mourir une deuxième fois ? Ou allions nous dans ces cas la ? Pourquoi, par tous les diables, avais-je suivi ce maudit corvidé ?

    -Monsieur ! Insistais-je, paniquée, en tentant vainement de trouver un objet auquel m’accrocher pour ne pas être jeté à terre par les vibrations de l’appareil.

    L’ascenseur se mit alors lentement en branle, dans une plainte à s’en écorcher les oreilles. Le corbeau stoppa enfin son monologue courroucé et parut se rendre compte du chaos de la situation actuelle. Au lieu de paniquer, ou seulement de paraître préoccupé comme il aurait était normal, il poussa un croassement de joie et enroula ses serres fermement autour de son perchoir.

    -Comme je disais, accroche ta ceinture, ça va enfin décoller ! Youhouuuuuuu ! Hurla-t-il, ayant apparemment oublié qu’il était en train de maudire tout le service technique, tandis que l’ascenseur prenait de plus en plus de vitesse.

    Bientôt, il alla si vite que je fus projeté à terre. Vous savez, cette sensation que vos entrailles deviennent super légère quand vous descendez à toute vitesse une montagne russe ? Eh bien là, c’était exactement le contraire. Mes entrailles paraissaient vouloir se sceller au sol tandis qu’un millier de tonnes m’aplatissaient le corps contre la moquette, et cette vertigineuse sensation s’aggravait à mesure que nous prenions de la vitesse. Autant dire que cela n’allait pas en s’arrangeant…

    Le corbeau, lui, était euphorique. Il continuait à pousser des cris de joie, les ailes collées au corps pour éviter de tomber, et répéter sans cesse que c’était la meilleure chose qui lui était arrivée depuis plus de cinquante ans. Ce  fou ne paraissait pas se rendre compte que la plainte de l’appareil devenait de plus en plus aiguë, qu’il ne cessait d’accélérer et que si cela continuait ainsi, nous allions nous écraser à plus de deux cent km/heure sur le plafond de la cage d’ascenseur, si toutefois il y en avait un… L’idée de me retrouver catapultée dans l’espace dans un ascenseur de luxe avec un oiseau complètement fou me traversa brièvement l’esprit, avant que mon estomac ne me rappelle à l’ordre. Oh non, j’allais vomir…Ou mourir…Ou les deux… 

    Mon supplice prit fin quand l’ascenseur s’arrêta soudain, si brusquement que tout mon corps fit un petit bond de quelques centimètres dont je retombai avec un « ouch » de douleur. Je restai quelque secondes affalée sur le sol, trop affaiblie par mon mal-être pour bouger, avant de réussir à me remettre tant bien que mal sur mes deux jambes.

    Les portes s’ouvrirent dans le même petit ding aigu que la dernière fois –même s’il paraissait plutôt ironique, maintenant – et je sortis à la suite du corbeau, qui lui s’était gaiement envolé de son perchoir en fredonnant une chanson paillarde, pas le moins du monde affecté par nôtre folle péripétie. Mes jambes à moi tremblotaient et mon cœur battait à cent à l’heure, mais j’étais indemne tout de même.

    Nous pénétrâmes dans un couloir étroit, aux murs verts sombres écaillés qui donnaient une impression étouffante, faiblement éclairés par un plafonnier fatigué. Il y n’y avait que quatre porte, deux à droite et deux à gauche. Elles étaient toutes dans un état de délabrement avancé, à part celle du fond à gauche, dont l’ébène vernis brillait d’une lueur discrète.  Le corbeau voleta dans sa direction, et se percha sur un petite barre en bois scellée dans l’encadrement, sûrement construite à sa disposition. Sur la porte, il y avait un petit écriteau : « Bureau de St Pierre,  Directeur Général du Passage et des Longes, Archange Suprême, Membre Permanent du Conseil d’Or. Prière de ne pas déranger entre 14h et 16h30. » Je m’apprêtai à frapper, tout en me demandant que diable pouvaient être le Conseil d’or et si une Longe était comestible (cela, c’était plutôt mon estomac qui se le demandait), quand le corbeau m’interpella :

    -Attends une minute, petite.

     Je tournai mon regard vers lui, mes lèvres dessinant le « quoi, encore ! » qu’elles s’apprêtaient à proférer, mais je me ravisai devant sa mine sérieuse. Il avait la tête légèrement penchée sur le côté, et la lumière tenue des la lampe révéla des reflets bleus irisés sur ses plumes noires. Il scruta longuement mon visage, comme y cherchant quelque chose. Alors, pour la première fois depuis le bref moment que je le connaissais, il me parla sans ironie, sans ruse, juste avec une gravité solennelle :

     -Ecoute, petite. Je sais ce que tu penses de moi. Tu me vois comme un vieil oiseau fou et gâteux, passant son temps à couper la parole des gens et n’aimant rien plus qu’écouter le son de ses propres croassements. Et tu as raison.

    Je fis une moue coupable, mal à l’aise. Oui, c’est vrai, ces pensées avaient effleuré mon esprit, mais…

    -Cependant, je ne suis pas né de la dernière pluie, loin de là, continua-t-il, et j’avais l’étrange impression que ses petits yeux noirs lisaient dans ma tête comme dans un livre ouvert. Je gardais déjà cette barque quand les premiers hommes sont nés et avec eux les premiers dieux, et je serais encore là quand ils auront tous disparus et que les nouvelles espèces jailliront des restes de leurs squelettes.  Telle est ma destinée. Des gens comme toi, durant mon existence, j’en ai vu des milliers, et des gens tout court, des milliards. Et si j’ai un seul conseil à t’adresser, petite, c’est celui là : n’oublie pas qui tu es, et n’oublie pas pourquoi tu es ici. Certaines personnes essaieront de t’influencer, de te manipuler, de t’utiliser. Ne les laisse pas te dire ce qui est bien de ce qui est mal, car tu auras bien vite fait de te retrouver à béqueter d’la bouse au lieu des vers.

    Nous restâmes un instant à nous dévisager, tandis que j’essayais d’assimiler ce qu’il venait de me dire, et non sans mal. Je ne comprenais pas. En quoi cela pouvait m’aider ? Je voulais bien, moi, ne pas oublier ce que je faisais ici, mais il fallait déjà savoir ce que je faisais ici ! Et moi en train de béqueter de la bouse était une image que j’aurais préféré ne jamais avoir dans mon cerveau.

    -Tu ne comprends pas, constata-t-il. Va, ne te torture pas les méninges avec les réflexions stérile d’un vieux fou, cela ne te servirai à rien. Garde juste mon conseil précieusement en mémoire, veux-tu ? Peut-être t’aidera-t-il un jour à prendre la bonne décision.  Attends-moi là.

    Avant que je ne puisse demander des explications, il sauta sur la poignée et s’engouffra à travers la porte, qu’il me claqua au nez. Le message était clair. Attends sagement ici jusqu’à qu’on viennent te chercher.

    Pendant quelques secondes, je restais devant la porte, incrédule. Alors, c’est tout ? On me claquait la porte au nez, sans aucune autre explication que : « attends-moi là » ? Et dire que j’avais commencé à l’apprécier, ce satané piaf ! Je fus tentée de rentrer quand même dans le bureau, mais je me ravisais en me rappelant à qui il appartenait. Il y avait des gens qui s’étaient fait condamner à des souffrances éternelles pour beaucoup moins que cela, dans la bible. Brûler à jamais dans les flammes de l’enfer n’était pas un sort qui m’attirait beaucoup.

    Je me résignais donc à la patience, et réexaminai le petit couloir. Il était toujours aussi décrépi et peu accueillant, et je surpris même un cafard qui gambadait joyeusement entre les lames de parquet. Charmant. Le nez plissé de dégoût, je découvris qu’il y avait, tassés dans l’angle du fond, une petite chaise en métal pliante et un tas de magazines posés à même le sol. Trop fatiguée pour me rendre compte qu’ils n’étaient pas à peine cinq minutes plus tôt, je me laissai tomber sur la chaise avec reconnaissance et enterrai ma tête entre mes bras, les coudes posés sur les genoux.

    Maintenant toute seule, et sans autres occupations que regarder le cafard qui continuait à cabrioler allégrement sur le parquet, je me sentais vidée de toute mes forces, et une migraine commencer à poindre au niveau de mes tempes. J’avais envie de pleurer. Pas parce que j’étais morte – je n’avais rien à regretter de mon ancienne vie, surtout maintenant que je savais qu’il y avait « quelque chose » après – mais justement à cause de ce « quelque chose ». Ce « quelque chose », que j’étais incapable de définir avec des mots, ressemblait moins à une « suite » logique qu’ à un de ces rêves bizarres qu’on faisait après avoir consommer trop de sucreries avant de se coucher. La tête plongée dans mes avants bras, j’agrippai mes cheveux et les serrai jusqu’à la douleur, tout en me mordant la lèvre inférieur pour éviter de pleurer. Je ne devais pas pleurer.

     Analyse la situation comme tu le ferais avec un problème de maths. Sépare les éléments,  comprends les, met les en relation, regarde le nœud dans sa globalité. Je ne savais pas d’où venait cette petite voix sereine qui m’avait soufflé ces mots, mais elle me fut fort secourable. Je fermai fort les yeux, et m’imaginai un énoncé sur mon cahier de maths, comme les milliers d’énoncés sur les milliers de cahiers de maths que j’avais pu voir durant ma courte vie. Je vis même s’écrire les phrases dans une typographie noire basique, florissant sous mon doigt qui suivait la ligne telles des champignons après l’averse.

    « La magnifique intelligente meurtrière petite Eyline se fait écraser par un véhicule de transport commun lancé à 70 km/h sur une route urbaine. Elle éclate en milles morceaux se fait déchiqueter meurt décède et se retrouve dans un ascenseur avec environ 50 personnes dont un psychopathe au moins. Ces personnes brillent plus que le soleil à midi en Afrique possèdent un éclat surnaturel, et sont probablement décédées elles aussi. Quand la main de la petite Eyline de retrouve en contact avec l’épaule du psychopathe d’une de ces personnes, elle procède à un voyage astral à l’intérieur du corps dudit psychopathe de ladite personne. Elle y entend parler de Juges et d’un ticket et y voit d’autres images pas très catholiques.

    « Après cet impromptu accident, l’ascenseur arrive à destination et une voix de bimbo préenregistrée annonce que l’on s’apprête à pénétrer dans les Longes, sous la juridiction Gardangélique. Mais avant d’avoir pu sortir de  l’ascenseur, la petite Eyline se fait interpeller par un corbeau du nom de sans nom connu. Cet animal dégénéré ce corvidé ne donne aucune information importante à part qu’il la désigne sous le nom d’élue et l’informe de sa présentation imminente à St Pierre et manque de la tuer dans un ascenseur presque aussi dégénéré que lui avant de lui fournir des conseils à deux balles et de la laisser poireauter dans le couloir avec un cafard définitivement trop heureux pour ne pas être drogué que la petit Eyline décide d’appeler Bob. Sur l’écriteau de la porte de St Pierre, on peut lire : Bureau de St Pierre,  Directeur Général du Passage et des Longes, Archange Suprême, Membre Permanent du Conseil d’Or. Prière de ne pas déranger entre 14h et 16h30.

    « La petite Eyline ayant été injustement mise à la porte, nous ne détenons pas plus d’informations pour le moment.

    Questions :

    1)      1)Où se trouve la petite Eyline ?  Pourquoi est-elle et que fait-elle dans cet endroit ?

    2)      2)Si cet endroit est bien ce qu’elle pense, peut-elle y retrouver sa mère ?

    3)      3)L’oiseau a parlé d’élue. Elue de quoi ?

    4)      4)Pourquoi l’amène-t-on voir St Pierre ?

    5)      5)Pourquoi est-elle apparemment la seule à ne pas être au courant de tout cela ?»

    Je décidai d’arrêter là avec les questions : celles-là étaient les plus importantes, ou du moins les plus urgentes à régler.

    Bon, vu que j’étais convaincue d’être morte et qu’il y avait visiblement quelque chose après cela, je pouvais en déduire que je me trouvais sûrement en Enfer (le Paradis n’étant pas pour les assassins) ou quelque chose d’approchant. Cet endroit, même s’il n’était pas très agréable, ne ressemblait pas du tout à l’idée que je me faisais de l’Enfer, si bien que je décidai de l’appeler la Zone X. On arrivait donc à la zone X par un ascenseur, qui contenait environ une cinquantaine de personne par voyage. Me remémorant leur silence songeur et le billet vu dans les pensées du psychopathe, je notai mentalement qu’il y avait probablement un lieu avant l’ascenseur, dont j’avais bizarrement était dispensée.  Je repensai aussi au bref flash aperçu entre les portes de l’ascenseur, au premier arrêt : une sorte d’énorme douane d’aéroport, que la voix de femme avait appelé les Longes. Peut-être était-ce là que siégeaient les fameux Juges ? Qui décidaient sans doute si les défunts allaient au Paradis ou en Enfer ! Complétais-je mentalement, excitée par l’avancé de mon raisonnement. La zone X était donc une sorte d’avant-garde, un filtre à esprits ! Oui, ce raisonnement tenait la route, mais il n’expliquait toujours pas pourquoi je n’avais pas reçu le même traitement que tout le monde. Pourquoi m’étais-je directement matérialisée dans l’ascenseur, n’avais-je pas été informée de tout ce qui se passait ? Tant de mystères en ce bas (ou plutôt haut) monde !

    Mon cerveau tournait à cent à l’heure tandis que mes yeux étaient vaguement fixés sur Bob qui avait commencé à danser une sorte de macarena cafardienne, quand j’entendis le bruit.

    C’était un bruissement léger, délicat, celui du vent d’automne qui secouait doucement les feuilles roussies des arbres pour annoncer l’hiver. C’était un bruit que n’importe qui aurait entendu et qualifié de quelconque, avant de replonger dans ses pensées et de l’oublier à jamais.

    N’importe qui mais pas moi. Car c’était aussi mon bruit préféré au monde.

    Hypnotisée, je me levais de ma chaise et me dirigeai vers la première porte à gauche du couloir -diamétralement opposée  au bureau de St Pierre-, attirée par le bruit tel un rat dans le conte du flutiste d’Hamelin. Je posais la main sur la porte de la poignée, fus saisie par l’hésitation une seconde avant de la tourner. Et si c’était interdit ? Que l’on me surprenait à un endroit où je n’aurais pas du être ?

    Oh, allez ! Maugréa la petite voix intrépide de mon esprit. On ne vit qu’une fois, non ? Ca doit être pareil pour la mort ! Bouge-toi et ouvre cette porte !

    Comme souvent, j’écoutais cette petite voix débile et ses conseils douteux, et ouvrit la porte sans aucune autre pensée envers les conséquences de mes actes. Comme toujours, en fait.

    Mais pour la première fois (et la dernière fois, même si je ne le savais pas encore à ce moment là), je ne regrettai pas cette décision par la suite.

    Car ce que je vis, et fis, derrière cette porte…Cela transfigura ma vie à tout jamais.


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    Bon, voila un p'tit texte qui m'est venu en écoutant une musique (que j'ai déjà oublier), je le poste maintenant, mais je ne sais absolument pas si je l'intégrerais un jour à mon histoire.

    Prière de me dire ce que vous en pensez ;).

    Cordialement, Mickey Mouse.

      

    Le Poukha

    Soudain, un cheval débarqua à toute vitesse dans la clairière, telle une flèche brune, et se jeta sur l’Éventreur. Le félidé, surpris, recula en feulant, mais avant qu’il ne puisse songer à attaquer, le cheval se cabra sur ses musculeuses pattes arrière et lui décocha un violent coup de sabot sur le museau. L’Eventreur, rugissant de douleur, tenta d’éventrer l’étalon d’un coup de griffe, mais celui-ci l’évita prestement et le chargea sur le flanc, les oreilles couchés en arrière, la bave à la bouche. Il l’écrasa violemment contre un gros pin, et la neige accumulée sur les branches leur tomba dessus, telle une protestation de la part du végétal. Prisonnière sous une masse de cent cinquante kilos, la bête se débattit sauvagement et  tenta de mordre la jugulaire de l’étalon, mais celui-ci, encore une fois, parvint à éviter ses crocs et referma sa propre mâchoire sur la nuque de l’Eventreur. Poussant un terrible mugissement, ses os broyés, sa chaire en sang,  sentant venir sa fin, le monstrueux félin, mu par l’énergie du désespoir, parvint à se dégager de l’emprise du cheval et lui ouvrit le flanc d’un dernier coup de patte. Puis, affamé mais pas suicidaire, il délaissa sa proie –c'est-à-dire moi- et s’enfuit, s’engouffrant entre les arbres où il disparut en à peine quelque secondes.

    Tremblotante, je restai quelque secondes les yeux fixés sur l’endroit où le monstre venait de disparaître, la respiration haletante, les genoux tremblotants. C’était moins une, pensais-je stupidement. Puis, encore hébétée, je tournai la tête vers mon mystérieux sauveur.

    Il n’avait pas bougé, et se contenta de me fixer de ses grands yeux noirs et extraordinairement expressifs. Pendant quelque secondes, nous restâmes face à face, à nous contempler mutuellement. Je détaillai lentement son magnifique pelage brun-rouge moucheté de petites taches de neige, ses muscles puissants, son cou élancé duquel s’écoulait une longue crinière noire et ondulée, sa tête fine et racée, et mon regard se plongea dans le sien. Ce sont ses yeux qui m’interpellèrent le plus. Car la lueur qui les emplissait était indubitablement humaine. Et coupable.

    Il se secoua le cou, brisant la magie du moment, puis s’élança vivement au galop en direction des arbres. J’eu à peine le temps d’apercevoir le sang qui dégoulinait sur son flanc avant qu’il ne soit englouti par la barrière de pins qui entourait la clairière.

    -Eh attends ! Ne me laisse pas toute seule ! Hurlai-je en  courant en direction des arbres, mais en vain, car il n’y avait déjà plus aucune trace de lui.

    Frappée par l’égoïsme de mes paroles, je m’arrêtai abruptement à quelques centimètres des premiers arbres, les joues en feu. Ne me laisse pas toute seule ? C’était vraiment la seule chose que j’avais trouvé à dire ? Alors que l’animal était blessé, et qu’il n’avait aucune raison de me secourir ? Je secouai la tête, dégoutée par mon égoïsme, avant de me rappeler brusquement de ma situation de danger de mort imminent. Nerveusement, je serrais les poings et regardai vivement autour de moi.

    La clairière qui m’entourait était de nouveau calme, mais plus de cet horrible silence surnaturel qui avait précédé l’arrivée de l’Éventreur, heureusement. On entendait à présent le faible bruissement des arbres, le vent qui chuchotait entre le buisson, et quelque oiseaux avaient même recommencé vaillamment leur doux pépiement. Pas rassurée pour autant, je courus à l’opposé de la direction qu’avait pris l’étalon – de toutes manières, je n’avais aucune chance de le rattraper-  je me réengageai précipitamment sur le chemin que j’avais dévalé avec tant de colère il y a de cela une éternité,  me paraissait-il. Quelle idiote, mais quelle idiote ! Débile, sotte, imprudente… J’étais si angoissée que j’en avais mal au ventre. En plus, mes chaussettes étaient mouillées, et mes doigts de pieds tout simplement congelés. Il me tardait de retrouver la sécurité et le confort de l’auberge. La peur me tordait les entrailles, et je jetai des coups d’œil soupçonneux aux ramures des arbres qui bordaient le sentier, m’attendant à voir réapparaitre l’Eventreur à tout instant.  Je faillis avoir une crise cardiaque quand je vis un petit talus remuer, jusqu’à qu’un minuscule renard en sorte. Il me jeta un coup d’œil dédaigneux, puis passa devant moi en m’ignorant superbement, sa queue touffue dressée en l’air. A partir de ce moment-là, humiliée, je fus un petit peu moins paranoïaque, mais à peine.

     Le Poukha


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  • Bonjour ! Vous venez de tomber sur le blog d'une fille inventive, déjantée, et relativement sympa. (Et qui parle de soi à la troisième personne, aussi, ce qui est plutôt bizarre, elle sait. )

    Donc, cette fille avait auparavant un autre blog principal, mais elle a décidé d'en changer car elle n'arrivait pas à trouver une joli déco pour l'ancien blog (et aussi parce qu’elle a le maigre espoir que si elle fait un nouveau blog elle aura le courage de poster plus souvent)  et elle a donc décidé de tout recommencer à zéro. Try Again.

    Elle prévient donc ses nouveaux (et anciens) lecteurs qu'elle postera dorénavant un chapitre par semaine pour se forcer à écrire plus régulièrement, qu'elle complémentera de petits dessins de ses personnages et/ou autres, et qu'elle invite les gens à venir poster leurs impressions et commentaires sur le livre d'or, créé grace à la suggestion d'une blogueuse.

    N'oubliez pas de vous abonner si vous aimez, et de me calomnier sur le livre d'or dans le cas contraire !

    Bonne journée à vous ! :)

    Chalut ! :3


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  • Chapitre 3

    "L'ascenseur de la mort"

     

    Quand je repris conscience, j'étais dans un ascenseur. Et selon les dires de mon estomac, un ascenseur qui montait. 

    Pas n'importe quel ascenseur, attention: un ascenseur de riche, comme on en voit dans les hôtels cinq étoiles (je le savais car ma mère avait été employée comme femme de ménage dans l'un d'entre eux). Il était entièrement fait dans un chaleureux bois brun-rouge, tellement ciré qu'on pouvait y son reflet, avec de magnifiques moulures et des petits reliefs floraux délicatement sculptés en guise de décoration; le sol était recouvert de moquette rouge, et un grand miroir occupait tout le mur du fond. J'étais positionnée à coté d'un panneau doré qui normalement comporte les boutons des étages, sauf que là, il n'y avait qu'un gros bouton rouge qui clignotait. En le regardant, ma main me démangea d'appuyer dessus, juste histoire de voir ce qui se passerait, mais je réussis à maîtriser ma pulsion et je me mis à détailler les gens autour de moi.

    Car je n'étais pas seule; nous étions environ une cinquantaine de personnes dans l'habitacle, qui faisait à peu près la taille d'une salle de classe. Comme j'étais au fond, je ne voyais pas très bien ce qui se passait tout devant, mais je distinguais deux grandes portes -en or ?!- et une sorte de tâche noire qui hululait à tout le monde en boucle de se taire et de ne pas faire de bruit. Et c'était ça le plus surprenant: personne ne parlait, ne chuchotait, ni même ne communiquait. Chacun paraissait plongé dans ses pensées respectives, ne semblant même pas remarquer qu'il y avait du monde autour d'eux. Et puis, ils paraissaient....Trop forts. Pas dans les sens Hulk, non, mais plutôt dans le sens lampe-à-incandescence-dans-les-yeux-quand-tu-viens-de-te-réveiller. La couleur de leurs habits était tellement vive qu'elle agressait les yeux; et les détails de leurs visages, tellement marqués qu’ils semblaient retouchés à coup de Photoshop; ils dégageaient une sorte de lumière intérieur qui faisait plisser les paupières. Par réflexe, je baissais les yeux sur mon propre corps, pour vérifier si rien n'avait changé de ce côté-là. Apparemment, non, Dieu soit loué, même si j'étais passée moi aussi en mode sursaturation. Je clignais des yeux, puis balayai une nouvelle fois mon environnement du regard.

     Tout ceci était vraiment très étrange.

    D'autant plus que je ne me rappelais absolument pas d'être montée dans cet ascenseur. En fait, je ne me rappelais de rien après être sortie de l'appartement de ma mère. Je me souvenais juste que je voulais aller à la police pour tout avouer, mais je ne me rappelais pas de ce qui c'était passé sur le chemin du commissariat. M'étais-je endormie ? Probabilité nulle. Je m'en rappellerais si je m'étais endormie, quand même. Avais-je été kidnappé ? Cette hypothèse semblait être déjà plus probable, mais je savais au fond de moi que ce n'étais pas cela. Et puis, cela ne collait pas du tout avec ce que je voyais autour de moi. Pourquoi m'aurait-on enlevé pour me parquer dans un ascenseur ? Cela n'avait aucun sens.

     Mais alors quoi ? Je fouillais au plus profond de mon esprit, mais c'était comme essayer d'attraper un trou noir. Impossible et complètement ridicule. J'envisageais d'abandonner et de poser des questions autour de moi, quand soudain un souvenir surgit à la lisière de mon esprit, comme un mouvement aperçu du coin de l’œil.

     Et je me souvins de tout, d'un bloc, les pensées me submergeant avec la force d'un tsunami, si bien que je chancelais et du m'appuyer sur le mur. Le feu rouge. Le camion. Ma mort. Je sentis la nausée me monter à la gorge, tandis que mes mains devenaient moites. J'étais morte. C'était claire et net dans mon cerveau, et je ne pensais pas une seconde à le nier.

     Mais alors, que diable faisais-je dans un ascenseur ?!!

     Mal à l'aise, je regardais autour de moi, en quête d'une personne à qui parler, mais tout le monde semblais tellement enfoncé dans ses pensées que je n'osais demander à personne. Je me dandinais pendant au moins cinq minutes -d'ailleurs, quand est-ce que cet ascenseur finirait de monter ?- puis je pris mon courage à deux mains, et m'approchais d'un homme en costume gris, d'environ la quarantaine.

     -Euh, excusez moi, commençais-je. Est ce que vous savez où nous sommes ? Je ne sais pas du tout ce que je fais ici...

     Il me lança un regard noir, comme si je n'étais qu'une sale gamine mal dégrossie, et se détourna de moi pour replonger dans sa réflexion.

     Je le fixais pendant une bonne minute, bouche bée, stupéfaite par son comportement. Mais l'étonnement ne tarda à laisser place à la colère. Quel malpoli, celui-là ! Bien remontée, avec la confiance bénie que seul sait prodiguer la colère, je m'apprêtais à lui dire ses quatre vérités, et je lui tapotais l'épaule: 

     -Eh, vous, là...

     Mais je ne pus pas terminer ma phrase, car au moment précis où ma main entra en contact avec son épaule, je fus comme happée vers lui. Tout se brouilla autour de moi tandis que mon esprit se précipitait à l'intérieur de son corps.

     « Il faut absolument que je trouve un moyen de soudoyer les Juges. Ils doivent bien y avoir un moyen d’entrer en contact avec eux, non ? Et puis j’ai tout mon temps. Ils n’ont précisé aucune date sur le billet qu’ils ont donné, de toutes manières. Il suffit que je trouve une faille dans leur système, quelque chose qu’ils ont à se reprocher, un moyen de pression… Tout le monde a une faille »  A ces mots là, une série d’images défila, comme une sorte de diaporama. Une enveloppe blanche passée discrètement à un vieil homme obèse en costume, à une sorte de réunion d’homme politiques importants dans un lieu qui rivalisait avec la maison blanche en opulence, une femme en tailleur qui rajustait sa jupe d’un air excité et un peu coupable dans un petit bureau fermé à clés... et bien d’autres flashs qui défilèrent trop vite pour que je puisse les interpréter.

     Soudain, toutes ces visions totalement incontrôlées stoppèrent brutalement, tandis que je me faisais expédier de son esprit comme un malpropre. Je me retrouvai dans mon corps, complètement désorientée, avec une sensation de tournis prononcée. L’homme se retourna vers moi, aussi vif qu’un cobra, et m’attrapa par le col, le visage crispé par la colère et les yeux lançant des éclairs.

     - De quel droit osez-vous… Gronda-t-il en rapprochant son visage tout rouge à à peine deux centimètres du mien.

     Je ne pus que fixer les veines qui saillaient sur ses tempes sous le coup de l’énervement, aussi abrutie que si je venais de me prendre un coup de massue. Tout ce que je pensais à cet instant pouvait se résumer en une phrase :

     -Que… Que diable vient-il de se passer ?

     L’homme souffla fort, visiblement énervé par mon ahurissement, et me relâche brusquement  avant de contracter ses mains en poings. Pendant une seconde, je crains qu’il n’en vienne aux mains mais il se contente d’approcher sa bouche tout près de mon oreille, et de me susurrer, les mâchoires contractées :

     -Je ne sais pas qui vous êtes, mais je vous conseille de faire en sorte de ne plus jamais vous dressez sur  mon chemin. Sinon...

     Je le sentis sourire machiavéliquement tandis que la pointe froide d’un couteau -apparu comme par magie dans sa main- m’effleura délicatement la gorge. Soudain, il s’écarta et disparut dans la foule, me laissant tremblante et totalement désemparée. Mais…Mais…Que diable était ce monde de fous ?!

     Avant que je ne puisse réaliser ce qui venait de se produire, un petit ding aigu retentit dans l’ascenseur, est une agréable voix de femme préenregistrée pris la parole :

     -Bonjour, chers passagers, vous voilà arrivés à la fin de votre voyage. Vous vous apprêtez à pénétrer dans les Songes, sous la juridiction Gardangélique, politesse et bonne conduite sont de mise dans cet endroit. Nous vous prions de sortir calmement de l’appareil et d’adresser toutes vos éventuelles questions où requêtes au Bureau des Renseignements, au fond à gauche en sortant. Toute l’équipe Deadlines espère que vous avez passé un agréable voyage à bord de son appareil et vous souhaite une excellente journée…

     A ces mots, les portes s’ouvrirent dans un chuintement feutré et les… euh… passagers ? sortirent de l’ascenseur. Je restais en retrait, interdite, ne sachant pas trop ce que je devais faire. La dame avait parlé d’un Bureau des Renseignement non ? C’était probablement là que je devais me rendre.

     Soulagée d’avoir enfin une mission au milieu de tout ce chaos, je me dirigeais vers les portes d’un pas relativement assuré, à la fois appréhensive et excitée à l’idée de ce que je pourrais découvrir en les franchissant. Mais je fus stoppée net dans mon élan par une voix qui m’interpellait :

     -Hé petite ! T’as l’air plus paumée qu’une frite au milieu d’la salade. T’as b’soin d’aide ? 

     Je m’arrêtais net dans mon élan, soulagée, et un peu surprise. J’étais pourtant sûre d’être la dernière dans l’ascenseur…

     -Oui, merci, ce serait vraiment sym…Commençais-je à répondre en me tournant vers mon potentiel sauveur. Mais ma voix me fit brusquement défaut quand je découvris de qui provenait ces paroles. Enfin de quoi plutôt.

     Car il ne restait dans l’ascenseur qu’un énorme corbeau d’un noir bleuté que j’avais d’abord pris pour un de ses animaux empaillés glauques que certains riches se plaisaient à collectionner. Perché sur une petite barre en bois qui semblait installée spécialement pour lui, il me fixait droit dans les yeux. Je restais bouche bée devant lui, avant de me demander si je ne venais pas de rêver.

     -Bah quoi ? Continua-t-il de sa voix croassante. Y’a une couille dans l’potage ? On dirait que t’as vu un fantôme, fit-il avant de s’esclaffer (du moins est-ce ainsi que j’interprétais le bruit qu’il produisit à cet instant) à ce qui paraissait être une private joke.

     Je fermai les yeux très fort et les rouvrit pour vérifier si je n’avais pas rêvé. Malheureusement, le corbeau était toujours là, et s’il avait été humain, j’aurais juré qu’il y avait de l’ironie dans ses prunelles.

     -Un…un…Piaf. Un piaf qui parle. C’est un piaf qui parle. Mais qu’est ce j’ai fumé aujourd’hui ?m’exclamais-je, un poil hystérique.

     -Hé, doucement, avec ton vocabulaire ! Je suis un corvidé, pas un piaf (il prononça ce dernier mot comme si c’était la pire des insultes). Et ce que je t’appelle primate, moi ? Non ! Pff, plus aucun respect chez les jeunes, maugréa-t-il.

     Je restais paralysée, ne pouvant que cligner furieusement des yeux. Je crois qu’à ce moment là, je pétais un câble. Oh, ce n’était pas si grave que ça ; mes pétages de câble à moi étaient plutôt silencieux. Je me contentai de me bloquer entièrement et de cligner stupidement des yeux, l’esprit  totalement vide, à l’instar d’une vache qui aurait entendu un train meugler. Mais bon, ce bug était justifié : j’étais quand même morte, puis était apparue dans un ascenseur de luxe pour me faire agresser par un psychopathe en puissance auquel j’avais probablement pénétré l’esprit, et voila que je me retrouver à taper la discute avec un corvidé grincheux. Rien que de le dire, ça paraissait délirant !

     Le corbeau remua ses grandes ailes pour s’envoler vers mon épaule. Je réagis à peine quand il se cala confortablement sur ma clavicule, me contentant de le fixer toujours en clignant si fort des yeux que je frisai la crampe de paupière.

     - Alors, qu’avons-nous là ? Se questionna l’oiseau en me détaillant. Une humaine, sans aucun doute, et certainement de sexe féminin, vu la longueur des poils capillaires, observa-t-il, en parlant de moi comme si je n’étais qu’un objet de collection. Très belle dentition, poursuivit-il en m’écartant les lèvres sans ménagement, jolis yeux noisette (il m’ouvrit grand une paupière entre ses deux serres), pupilles dilatées, sûrement dues à l’ébahissement devant mon charme légendaire.

     Il délaissa mon visage pour s’intéresser à mon corps :

     -Petite, mais bien proportionnée, continua-t-il en admirant mes hanches, puis il glissa une serre pour écarter le col de mon tee-shirt. Beaux spécimens de glandes mammaires ! S’exclama-t-il d’un ton appréciateur. A ce moment-là, je réagis enfin en poussant un « Hé ! » indigné et en lui administrant une tape sur la tête qui le délogea de mon épaule.

     Il voleta vers son perchoir en ricanant.

     -Au moins, tu es saine d’esprit ! Je commençais à me poser la question, à te voir cligner des yeux comme une folle. Tu ressemblais à ma défunte tante Helga, qui souffrait d’un double tic à chaque paupière. Je peux te dire que c’était dur de s’intéresser à la conversation, avec elle ! S’esclaffa-t-il.

     -Bon, bon, je suis sûre que votre tante est passionnante, mais moi j’ai d’autres problèmes, là, bougonnais-je, fâchée d’avoir été dépassée par les événements aussi facilement.

     -Roh, tu n’es vraiment pas marrante.

     -Où suis-je ? demandais-je, en ignorant sa dernière remarque.

     -Tu n’en sais vraiment rien, alors ? Insistât-t-il, en penchant la tête sur le côté comme seuls savent faire les oiseaux. Tu n’en as vraiment aucune idée ?

     -Puisque je vous le dis ! M’exclamai-je, excédée. Si vous pouviez aussi répondre à mes…

     -Comment es tu arrivée ici ? me coupa-t-il, en faisant fi de ma requête.

     Il avait les plumes toutes ébouriffées d’excitation, et des étoiles scintillaient dans les deux petites billes noires qu’étaient ses yeux.

     Je respirais à fond pour m’empêcher de le transformer en poulet rôti, agacée par sa manie de ne jamais répondre aux questions, mais je savais que c’était le genre de personne –enfin, si on peut parler de personne dans ce cas précis- qui parlerait quand elle l’aurait décidé. Alors, je pris sur moi et répondis à sa question :

     -Je n’en sais strictement rien. Je me suis directement réveillée dans cet ascenseur, sans savoir ce que je faisais là. Je ne sais même pas quel est cette endroit ! Je me rappelle juste que le bus m’a… Que je… Que je suis… Je ne pus finir ma phrase. L’admettre, c’était une chose, mais le dire, c’en était une autre…

     Heureusement, le corbeau était là pour me secourir :

     - Morte ? Décédée ? Crevée comme un rat au milieu de l’autoroute ?

     -Euh, oui. Avec plus ou moins de tact, mais en gros c’est ça.

     Il sourit –du sourire rusé d’un corvidé- et revint se poser sur mon épaule.

     -Bah ma p’tite, on va pas s’ennuyer, toi et moi. Et ça ne fais que commencer… Appuie sur le gros bouton rouge, là, je sais que tu meurs d’envie de ‘l’ faire depuis t’à l’heure. Ha ha, tu vas avoir le privilège de rencontrer un grand dès ton premier jour, jubila-t-il en se frottant les serres.

     -Comment savez vous que je voulais appuyer sur le… Commençais-je à demander, avant que la fin de sa phrase ne se fraye un chemin jusqu’à mon cerveau. Mais, attendez, mais… Qui ?

     -Parce que n’importe quel humain normalement constitué ne peut s’empêcher d’être curieux. Répondit-il à ma première question. 

     Il marqua une petite pose dramatique, pour ménager son effet, puis déclara :

     -Et on va faire un p’tit tour dans le bureau de saint Pierre.

     -St…Le Saint pierre ?

     J’étais  ébahie. Cela allait définitivement trop vite pour moi. Je recommençais sérieusement à me demander si je ne rêvais pas…

     -Bon, apparemment, la nouvelle élue n’est pas des plus actives mentalement. Je vais encore devoir faire tout moi-même, soupira-t-il avec un air d’auto apitoiement. Accroche ta ceinture, bébé, s’écria-t-il avant que je ne puisse riposter.

     Et il appuya sur le gros bouton rouge.


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    • Chapitre 2

      « Quand la mort décide de te faire une surprise...»

      Je rouvris les yeux, chassant la peine qui me dévorait le cœur depuis des mois, comme une vieille plaie infectée. Fini, les apitoiements, la dépression, l’enfermement, la passivité. Fini les journées entières passées sous ma couette, anesthésiée par l’apathie que provoque les médocs antidépressifs que je m’étais infligés pour pouvoir fuir mon immense culpabilité, fini les larmes, la douleur, la peur, la peur, la peur. La peur de la prison, de l’avenir, d’être confrontée à ce que j’avais fait, de voir le ravage de la douleur dans les yeux des proches de ma victime. Victime. Ce mot est la plus horrible des souffrances, car elle me pointe du doigt aussi sûrement que mon prénom.

      Je m’appelle Eyline Calembre et je suis une meurtrière.

      Mais tout ça c’est fini. Car j’ai un plan. Bien meilleur que le dernier que j’ai appliqué.

      Je balançai mes jambes hors de mon lit et me redressai en position assise, puis je m’étirai comme un chat. J’étais déjà prête depuis hier soir, pour la simple raison que je n’avais pas pu fermer l’œil de la nuit. J’avais passé tout mon temps à me préparer –c'est-à-dire me doucher,  m’habiller et mettre dans un sac le pistolet que j’avais conservé avec moi pendant ma fuite-, à ressasser mon plan et à faire les cents pas dans mon appartement  en me rongeant les ongles jusqu’au sang.

      Avec un soupir, je me levai, attrapai mon manteau et me dirigeai vers la sortie. Je balayai une dernière fois du regard le petit appartement miteux que j’avais partagé avec ma mère, et mon regard s’arrêta sur un petit cadre crasseux posé sur la table de la cuisine. Je ne l’avais jamais remarqué jusque là, et j’étais persuadée qu’il n’était pas là avant que je ne parte. Je l’attrapai –l’appart’ était vraiment tout petit- et le détaillai. C’était une photo de ma mère et moi, quand j’avais environ trois ans, et elle me tenait dans ses bras, plus souriante que je ne l’ai jamais vue. C’était quand on avait encore un petit peu d’argent, avant que mon père -un homme dont je n'avais aucun souvenir et qui ne m’intéressais pas plus que ça- ne nous abandonne.

      Je sentis les larmes couler sur mes joues. Pourtant, j’étais persuadée de les avoir toutes versées pendant ces derniers mois, mais il faut croire que j'en possédais un réservoir inépûisable. J’avais appris la mort de ma mère en rentrant de cette fameuse nuit. Cancer. Elle le savait depuis deux ans, mais elle ne m’avait jamais rien dit. Ce qui avait alimenté encore plus ma culpabilité et ma haine de moi-même. En plus d’être une meurtrière et une fille indigne, j’étais maintenant orpheline.

      Effectivement, on pouvait dire que ma vie était vraiment merdique. Et ça n’allait pas en s’arrangeant…

      J’expirais en un souffle entrecoupé de hoquet, et je déposais le cadre d’un geste un peu trop brusque, ce qui le fissura. Tant mieux. Mieux valait faire une croix sur le passé le plus vite possible.

      Je sortis presque en courant, de peur de me dégonfler, et je claquais la porte en partant, comme pour verrouiller une bonne fois pour toutes ce pan de mon passé.

      Je marchais d’un pas vif tout en ressassant pour la millième fois au moins mon plan, qui d’ailleurs ne méritait pas tellement ce nom. Il consistait juste en ma reddition à la police, à laquelle j’avouerais tout à une seule condition. Qu’ils me laissent parler avec la famille de l’homme que j’avais tué. Que j’ai au moins une chance de leur expliquer ce que j’avais fait, les circonstances dans lesquelles cela s’était produit. Ils ne me pardonneraient sûrement jamais, peut-être même m’insulteront-ils, et je finirais sûrement ma vie derrière les barreaux. Très bien, je l’avais plus que mérité, il était temps de payer pour mes erreurs. Mais je voulais leur faire part de mon immense culpabilité, que je ne voulais pas, que je n’aurais pas du, que c’était un accident, leur demander pardon, pardon, pardon... J’avais retourné milles fois le discours dans ma tête, l’avais poli et aiguisé telle une épée prête pour le combat. Je m’appelle Eyline Calembre, et je suis désolée de…

      Peut-être que si j’avais été moins plongée dans mes pensées, que j’avais fait attention à ce qui se passait autour de moi, j’aurais vu le feu passer au rouge pour les piétons, je me serais arrêtée avant d’arriver au milieu de la chaussée. Et j’aurais évité le bus qui me fonçait dessus à 70km/h.

      Mais je ne le fis pas. Alors, je ne pus que me paralyser et observer la mort se précipiter sur moi comme un lion sur une gazelle. Je n’étais pas vraiment apeurée, l’adrénaline n’eut même pas eu le temps de se frayer un passage dans mes veines. Je me sentais juste surprise et complètement fascinée. Et c’est comme ça que je mourus. Un terrible choc, un millième de seconde d’une douleur insupportable tandis que mon corps se disloquait, puis plus rien.

      Le noir total…

       


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