• Chapitre 5: La Salle des Quatre Vérités

    La première chose qui me frappa en entrant, ce fut la lumière.

    Elle était si crue, après la semi-pénombre à laquelle mes yeux s’étaient habitués, que je dus me couvrir le visage avec les deux mains, jusqu’à que mes pupilles puissent se rétracter suffisamment.

    La deuxième fut l’odeur.

    L’air embaumait l’été. L’été n’a pas vraiment d’odeur, je sais, mais je trouve qu’il a tendance à intensifier les petites senteurs du quotidien, qu’il serait, à une autre saison, impossible de détecter : l’odeur sucrée des roses, de la pierre chauffée par le soleil, de la sueur bienfaitrice qui refroidit le corps… Tout un bouquet propre à la période la plus chaude de l’année.

    Enfin, quand les taches vertes se dissipèrent de mon champ de vision, je découvris l’endroit qui m’entourait. J’en fus époustouflée.

    Il y avait là une petite cour pavée de pierres blanches, comme celle qu’il y avait à l’arrière de toute vieille maison moyenâgeuse qui se respectait ; tout autour, un muret sur lequel s’entremêlait des rosiers rouge mûrement fleuris ; au milieu de la cour, une petite fontaine ronde à trois jets dont l’eau clair glougloutait joyeusement, et à côté, un simple banc en pierre qui semblait propice aux longues heures de réflexion paresseuse au cœur de ce petit paradis. Des grands arbres aux feuilles vertes encadraient le muret, éclaboussant la cour de leurs ombres. Le soleil réchauffait la peau, bien qu’une douce brise soufflait un air rafraichissant.

    Le plus spectaculaire, cependant, était le temple grec qui se dressait fièrement au bout de la cour. Il était parfaitement conservé : le marbre de ses colonnes était blanc comme neige, tranchant avec le vert sombre du lierre enroulé autour de leurs pieds, et les scènes sculptées et colorées qui ornaient le la frise paraissaient avoir été faites la veille. Un large escalier en marbre de cinq marches menait à l’entrée, et, gravés en lettres d’or sur le fronton, était écrit : Μηδὲν ἄγαν. Rien de trop, traduisis-je immédiatement, passionnée de la Grèce Antique comme j’étais. Je fus prise d’un doute, quant à cette inscription. N’était-ce pas celle qui ornait le temple de Zeus à Delphes ? Non, c’est impossible me rassurais-je intérieurement. Je veux bien être dans un monde de fous, mais il y a des limites.

    Je restais un instant à contempler cette vision spectaculaire, bouche bée, les paupières plus ouvertes qu’elles ne l’avaient jamais été. Toute ma colère, toute ma peur, ma confusion m’avait quitté pour laisser place à un sentiment de quiétude et de bien-être, coulant à l’intérieur de moi comme du chocolat chaud. Cet endroit, il était à moi, il n’attendait que moi. Je le sentais. J’entrais donc sans aucun gêne, ni inquiétude, simplement comme quelqu’un qui rentrait enfin chez lui après une dure journée de travail.

    Je fis trois pas à l’intérieur, et je sentis avec délice les pierres chaudes sous mes pieds nus. Surprise, je baissais les yeux sur ma tenue, et me rendis compte avec émerveillement que mon sweater bleu et mon jean avaient laissé place à un petit short en toile blanche et une longue tunique sans manche également blanche. Cela ne réussit même pas à m’étonner ; je planais beaucoup trop haut pour ça. En plus, avec cette tenue, ma peau bénéficiait d’autant plus de la chaleur du soleil…

    Gaie comme un pinson, je me mis à trottiner jusqu’à la fontaine, où je plongeai mon regard dans l’eau d’une couleur bleu myosotis surnaturelle. Une personne me dévisageait aussi à l’intérieur de la fontaine, et il me fallut quelque secondes pour comprendre que c’était mon reflet. Cette fontaine était vraiment magique, m’émerveillais-je, elle donne presque l’impression que je suis belle ! Oh, je n’étais pas non plus une laideronne, mais mes yeux sombres étaient trop écartés, mon visage trop rond, et mes maudits cheveux noirs trop ébouriffés pour être comparée à une beauté. Pourtant, la fille de la fontaine était magnifique, avec sa crinière soyeuse entremêlée de fils d’or et ses grands yeux expressifs. Je secouais la tête en riant, détournant les yeux de cette image décidément trop belle pour être vraie, et continuai mon exploration. Je marchais tranquillement vers le temple, et, bercée par la musique des oiseaux et des arbres, je réussis presque à oublier que j’étais morte, que j’étais sensée rencontrer une autorité suprême de la mort, et que… Oh, et puis, on s’en fiche ! J’éclatais de nouveau de rire à cette pensée et me mis à courir vers les marches. Je les gravis une à une, m’amusant des lézards qui s’enfuyait sur mon passage, et enfin, j’arrivais devant la toile qui cachait l’entrée. Avec le sentiment le plus proche de l’appréhension que je fusse capable de ressentir dans cet endroit magique, je tendis la main vers le bord du tissu…

    -Je ne ferais pas ça si j’étais toi.

    Je fis volte face en sursautant.

    Un vieil homme était assis sur le banc de pierre. Sans ses cheveux blancs comme neige et la sérénité que dégageai son visage, la phrase précédente n’aurait point eu de sens, car on ne lui aurait pas donné plus de trente ans. Pour cela, il aurait fallu que ses yeux bleus soient moins énergiques, que son dos soit moins droit, que son port soit moins aérien. Oui, c’est cela : cet homme était aérien, comme un nuage incarné en chair et en os. Il était vêtu d’une longue robe, semblable à celles que portaient les moines moyenâgeux, entièrement blanche, qui mettait en valeur l’aura lumineux dont il était drapé. Et il avait aussi un petit pins bleu accroché au niveau de la poitrine, qui détonnait furieusement sur son habit.

    -Oh, continua-t-il, je ne dis pas ça pour t’embêter, mais les choses qui se trouvent derrière ces portes ont rendu plus d’un homme fou. La folie est quelque chose de plutôt fâcheux, si tu veux mon avis.

    Il conclut sa tirade par un sourire gentil qui acheva de me tranquilliser. Je faillis me mettre à glousser. Plutôt fâcheux ? C’était l’euphémisme de l’année ! Je me dirigeais vers lui et pris place à ses côtés, non sans glisser un regard nostalgique vers le temple. Une autre fois.

    -Alors ? questionnais-je d’un ton fatidique quand j’eus pris place à côté de lui. 

    -Alors quoi ? répliqua le vieil homme, étonné.

    -Eh bien, le verdict ! Je vais au paradis ou en enfer ? D’après ce que j’ai compris, il y a des Juges pour faire cela, mais apparemment, j’ai sauté une étape. Personnellement, je penche plutôt vers l’enfer, vu ce que j’ai fais, dis-je, triste mais résignée.

    Le vieil homme ne répondit pas tout de suite, trop occupé qu’il était à se tordre de rire. Cela me contraria ; c’était de mon destin qu’on parlait !  C’était sérieux !

    Au bout de quelque secondes, il parvint à se calmer, même s’il conserva un petit sourire réjoui sur le bord des lèvres.

    -C’est bon, vous avez fini ?

    -Excuse-moi, excuse-moi, dit-il en essuyant une petite larme au coin de son œil.  Ce n’est pas tous les jours que l’on tombe sur des personnes si pressées de partir En Bas. Non, non, je ne suis pas là pour décider de ton destin, ce n’est pas de mon ressort. Si je suis là, c’est pour t’offrir une alternative.

    -Une alternative ?

    -Oui, et cesse de m’interrompre, je te prie, ce que je vais te dire est important.

    J’approuvai d’un hochement de tête, m’assis en tailleur face à lui, et cueillis un petit brin d’herbe que je déchiquetais impatiemment en attendant les réponses, qui, enfin, venaient à moi.

    -Tu as donc déjà compris que tu étais morte. Crois-moi, ce n’est pas si évident : la plupart des morts prennent beaucoup de temps à vouloir nier la vérité pur et simple. Sûrement un réflexe de leur vivant, fit-il songeur, avant de reprendre sa phrase : tu as aussi compris que tu n’avais pas suivi le parcours «normal » -Dieu seul sait à quel point je déteste ce mot- du mort moyen; en effet, cela est rare, mais loin d’être nouveau. Si tu es ici, c’est sur les ordres d’En Haut, et crois-moi quand je te dis qu’En Haut, dans ce monde, n’est pas une expression utilisée à la légère.

    Je m’apprêtais à le couper de nouveau, trop de questions se bousculant en moi pour pouvoir me contenir, mais il m’en empêcha en posant sa main sur mon genou et en se penchant vers moi, l’air grave :

    -Tu as été choisie, Eyline Calembre, pour expier tes fautes et peut-être ainsi trouver le Repos Éternel.

    J’eus le souffle coupé. Cet homme venait de m’offrir mon désir le plus profond sur un plateau d’argent. Il devait y avoir un piège.

    -Et qu’est ce que vous aurez en échange ?

    -En échange ?

    -Oui. Vous m’offrez une chance de rectifier ma plus grande erreur. Je veux savoir ce que vous demandez contre cet inestimable cadeau !

    Il partit d’un nouvel éclat de rire.

    -Je ne trouve pas ça drôle !

    -Moi si. Un jour, Eyline Calembre, un jour tu comprendras.

    -Alors ? Quel est votre prix ?

    -Ça.  Ta détermination à t’amender de tes pêchés t’honore, et c’est l’une des choses qui montrent à quel point tu es précieuse pour notre cause. Ainsi, si tu acceptes ce contrat, tu seras envoyée dans un centre d’entraînement spécial, ou tu seras préparée pour le terrain. Car, ma petite, le seul moyen de rembourser une vie prise est d’en sauver d’autres...

    Je pris quelques instants pour digérer ce qui se passait. Lentement, pendant que je me frottai les mains pour me débarrasser de la bouillie verte qu’était devenu le brin d’herbe, le nœud d’émotion refoulées depuis cette fameuse nuit glissa de mes épaules, se faufila jusqu’à mon cœur, ou il put enfin éclater en toute liberté. Et je ressentis alors de l’espoir, beaucoup d’espoir : je pouvais sauver des vies ! Je pouvais sauver ce vieil homme que j’avais tué des dizaines de fois si je le voulais, car  on m’en donner enfin la possibilité ! Je sentis les larmes me monter aux yeux, et pour la première fois de ma vie, ce furent des larmes de joie.

    -Qu’en dis-tu ? Tu acceptes ?

    -Oui… Oui. Oui ! Merci !

    Sans plus pouvoir tenir en place sous peine d’exploser, je me levais et commençais une petite danse de joie passablement ridicule. J’en fus même jusqu’à enlacer le vieil homme, qui me rendis mon étreinte, hilare.

    Quelque minutes plus tard, quand je me fus calmais, nous reprîmes notre conversation :

    -Quand est ce que je peux partir ?

    -Du calme, petite, chaque chose en son temps. D’abord, pose-moi toutes les questions qui te passent par la tête ; Nous n’aurons sûrement plus l’occasion de parler avant un bon bout de temps, après ton départ.

    Je me creusais la tête, en essayant de retrouver les questions qui se bousculaient dans mon esprit à peine cinq minutes auparavant. Mais où étaient-elles quand on avait besoin d’elles ! Eh puis, soudain, je e rappelais :

    -Est-ce que je peux voir ma mère ? Elle est bien ici, non ? Et cet homme que j’ai tué ? Je peux leur parler ? dis-je, tremblante d’excitation.

    Alors il me regarda, et dans ses yeux millénaires je vis une tristesse si profonde, si lasse, que la réponse s’imposait d’elle-même.

    -Ne dites rien. Ce n’est pas possible, n’est ce pas ?

    -Ils sont partis vers un endroit meilleur, si cela peut te consoler.

    Je fermai les yeux. Je ne voulais plus rien voir, je ne pouvais plus, plus… On m’avait tiré dessus avec une balle empoisonnée, et le venin se répandait à présent dans tous mon corps, brûlant sur son passage  mes rêves, mes espoirs, ma volonté…

    Je suppose que si cette nouvelle m’atteignit si profondément, c’est parce que l’on pense tous que l’on retrouvera ses proches, quelque part, après le Grand Voyage. Qu’ils ne disparaissent pas juste « comme ça ». C’est cet espoir qui nous permet d’avancer, de nous remettre de cette disparition si brutale et si désespérément définitive qu’est la mort. Et je ne pouvais même plus m’accrocher à cette maigre consolation…

    Je sentis quelque chose sur mon épaule. Quelque chose de chaud, de rassurant, une ancre… Une main. Laissez-moi tranquille ! Je veux mourir, non, je veux disparaître, je ne veux plus exister. Exister est si douloureux.

    Une voix douce me sort de ma transe, et j’ouvre de nouveau les yeux. Le paysage a pâti de mon désespoir : les branches des arbres se sont racornies, toutes leurs feuilles sont tombées, et de petits cadavres d’oiseaux trainent entre leurs racines. Le ciel s’est couvert de nuages d’orage menaçants, et même le temple semble dangereux, avec les ombres que l’on entraperçoit désormais en son sein.

    C’est moi qui ai fait tout cela ? Et puis, quelle importance. Je suis toute seule à présent, vraiment seule, désespérément seule.

    -Arrête ! Crie le vieil homme.

    Je tourne mes yeux mornes vers lui. Que me veut-il ? Pourquoi ne pars-t-il pas ? Je veux être seule. Je ne veux plus jamais m’attacher.

    -Ce n’est pas ainsi que l’on règle ses problèmes. Ce n’est pas en s’enfermant que l’on vainc la solitude, ce n’est pas en détestant que l’on apprend à aimer. Et ce n’est certainement pas cela que ta mère aurait voulu que tu fasses !

    -Qu’est ce que vous en savez ? Répliquais-je agressivement.

    J’étais agacée par le malaise que ses propos ont fait naître en moi.

    -Parce que je l’ai vue, me répondit-il.

    Le monde reprit son cour. Mon regard dériva sur son pins.

    "St Pierre, archange suprême"

    Ah.

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    Bon, voilà enfin la suite de ce roman. J'ai décidé d'ailleurs de l'arrêter pour le moment, car je ne ressens plus aucun plaisir en l'écrivant (je pense que ça se voit à la qualité médiocre de ce chapitre), et  que j'ai d'autres projets sur lesquels je dois me concentrer. Peut-être le rependrais-je plus tard, qui sait ? Merci à ceux qui ont lu, lâchez un com's pour dire ce que vous en pensez :)


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