• Bon, voila. J'ai décidé de faire une petite présentation, pour les trois personnes qui lisent occasionnellement ce blog et qui en aurait quelque chose à faire (c'est à dire pour moi, en fait). Ou pour les curieux qui se demandent souvent quel genre de personnes se cachent derrière les écrans (comme moi, en fait :3). Par contre, si vous voulez lire du mélo-dramatique, passez votre chemin : s'il y a bien deux choses que je déteste, c'est me plaindre gratuitement et sans raison de ma vie, ou qu'on voit ma peine.

    Donc moi, c'est une jeune fille qui s'appelle Lorène. L-o-r-è-n-e. Le premier qui fait une blague sur les quiches, je le transforme en lardon. Sans mauvais jeu de mot.

    Donc Lorène, c'est une jeune fille, pas spécialement jolie, relativement intelligente, dont les cheveux aiment faire la fête à toutes heures indépendamment de sa volonté, et qui peut parler de poulpes pendant des heures. Et qui parle de soi à la troisième personne, aussi, mais bon, si ça te dérange, tu sais où est la porte (enfin, la petite croix rouge, bref).

    Lorène est aussi, pour son malheur, une fille hyper... Non, ce mot n'est pas assez fort. Ultra-mega-ultima-suprêmement sensible que vous pouvez détruire simplement grâce à quelques petits mots (ou absence de mot parfois). Donc faites attention à ce que vous dîtes (ou ne dîtes pas), car ce n'est pas agréable d'être détruit. Elle à tendance à se transformer en poisson rouge sous-oxygéné en société, donc si vous la rencontrez dans la vraie vie, vous lui collerez sûrement l'étiquette "bizarre", mais bon, elle est habituée alors elle vous pardonne. (Lorène n'est pas la seule dans ce cas, et elle vous conseille aimablement de bien connaître les gens avant le leur coller une étiquette stéréotypée sur la tête. Conseil d'amie.)

    Lorène a aussi l'inestimable pouvoir d'aller très vite en connerie/seconde, donc faites semblant de rigoler à ses jeux de mot foireux, ça lui fera plaisir. (Un peu comme avec un débile mental, en fait. Hum, ce n'est pas très flatteur.)

    Lorène ferait n'importe quoi pour vous plaire. Il vous suffit d'avoir quelques mots gentils pour être acceptez, ou d'excuses sincères pour être pardonné. Si vous nouez une amitié avec elle, vous pouvez êtes sûr qu'elle ne vous oubliera jamais, et si vous lui demandez un service, elle vous le rendra avec plaisir. (Appelez moi Médor, please)

    Lorène va aller se chercher un mouchoir, car elle a menti. Elle s'est bien plaint et lamenté (ce qui la fait pleurer, comme à chaque fois, zut !), indirectement certes, mais bon, personne n'est parfait. S'il vous plait, ne soyez pas fâché, mettre les gens en colère et l'une des choses qu'elle déteste le plus.

    Voila. Lorène c'est moi. Mon endroit préféré ? Ma tête. Ma sortie de secours ? Les livres.

    Si vous voulez me rencontrez, envoyez des MP, laissez des commentaires. J'accepte tous (questions, délires, présentations bizarres, pub) sauf les insultes.

    Peace !


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  • Chapitre 5: La Salle des Quatre Vérités

    La première chose qui me frappa en entrant, ce fut la lumière.

    Elle était si crue, après la semi-pénombre à laquelle mes yeux s’étaient habitués, que je dus me couvrir le visage avec les deux mains, jusqu’à que mes pupilles puissent se rétracter suffisamment.

    La deuxième fut l’odeur.

    L’air embaumait l’été. L’été n’a pas vraiment d’odeur, je sais, mais je trouve qu’il a tendance à intensifier les petites senteurs du quotidien, qu’il serait, à une autre saison, impossible de détecter : l’odeur sucrée des roses, de la pierre chauffée par le soleil, de la sueur bienfaitrice qui refroidit le corps… Tout un bouquet propre à la période la plus chaude de l’année.

    Enfin, quand les taches vertes se dissipèrent de mon champ de vision, je découvris l’endroit qui m’entourait. J’en fus époustouflée.

    Il y avait là une petite cour pavée de pierres blanches, comme celle qu’il y avait à l’arrière de toute vieille maison moyenâgeuse qui se respectait ; tout autour, un muret sur lequel s’entremêlait des rosiers rouge mûrement fleuris ; au milieu de la cour, une petite fontaine ronde à trois jets dont l’eau clair glougloutait joyeusement, et à côté, un simple banc en pierre qui semblait propice aux longues heures de réflexion paresseuse au cœur de ce petit paradis. Des grands arbres aux feuilles vertes encadraient le muret, éclaboussant la cour de leurs ombres. Le soleil réchauffait la peau, bien qu’une douce brise soufflait un air rafraichissant.

    Le plus spectaculaire, cependant, était le temple grec qui se dressait fièrement au bout de la cour. Il était parfaitement conservé : le marbre de ses colonnes était blanc comme neige, tranchant avec le vert sombre du lierre enroulé autour de leurs pieds, et les scènes sculptées et colorées qui ornaient le la frise paraissaient avoir été faites la veille. Un large escalier en marbre de cinq marches menait à l’entrée, et, gravés en lettres d’or sur le fronton, était écrit : Μηδὲν ἄγαν. Rien de trop, traduisis-je immédiatement, passionnée de la Grèce Antique comme j’étais. Je fus prise d’un doute, quant à cette inscription. N’était-ce pas celle qui ornait le temple de Zeus à Delphes ? Non, c’est impossible me rassurais-je intérieurement. Je veux bien être dans un monde de fous, mais il y a des limites.

    Je restais un instant à contempler cette vision spectaculaire, bouche bée, les paupières plus ouvertes qu’elles ne l’avaient jamais été. Toute ma colère, toute ma peur, ma confusion m’avait quitté pour laisser place à un sentiment de quiétude et de bien-être, coulant à l’intérieur de moi comme du chocolat chaud. Cet endroit, il était à moi, il n’attendait que moi. Je le sentais. J’entrais donc sans aucun gêne, ni inquiétude, simplement comme quelqu’un qui rentrait enfin chez lui après une dure journée de travail.

    Je fis trois pas à l’intérieur, et je sentis avec délice les pierres chaudes sous mes pieds nus. Surprise, je baissais les yeux sur ma tenue, et me rendis compte avec émerveillement que mon sweater bleu et mon jean avaient laissé place à un petit short en toile blanche et une longue tunique sans manche également blanche. Cela ne réussit même pas à m’étonner ; je planais beaucoup trop haut pour ça. En plus, avec cette tenue, ma peau bénéficiait d’autant plus de la chaleur du soleil…

    Gaie comme un pinson, je me mis à trottiner jusqu’à la fontaine, où je plongeai mon regard dans l’eau d’une couleur bleu myosotis surnaturelle. Une personne me dévisageait aussi à l’intérieur de la fontaine, et il me fallut quelque secondes pour comprendre que c’était mon reflet. Cette fontaine était vraiment magique, m’émerveillais-je, elle donne presque l’impression que je suis belle ! Oh, je n’étais pas non plus une laideronne, mais mes yeux sombres étaient trop écartés, mon visage trop rond, et mes maudits cheveux noirs trop ébouriffés pour être comparée à une beauté. Pourtant, la fille de la fontaine était magnifique, avec sa crinière soyeuse entremêlée de fils d’or et ses grands yeux expressifs. Je secouais la tête en riant, détournant les yeux de cette image décidément trop belle pour être vraie, et continuai mon exploration. Je marchais tranquillement vers le temple, et, bercée par la musique des oiseaux et des arbres, je réussis presque à oublier que j’étais morte, que j’étais sensée rencontrer une autorité suprême de la mort, et que… Oh, et puis, on s’en fiche ! J’éclatais de nouveau de rire à cette pensée et me mis à courir vers les marches. Je les gravis une à une, m’amusant des lézards qui s’enfuyait sur mon passage, et enfin, j’arrivais devant la toile qui cachait l’entrée. Avec le sentiment le plus proche de l’appréhension que je fusse capable de ressentir dans cet endroit magique, je tendis la main vers le bord du tissu…

    -Je ne ferais pas ça si j’étais toi.

    Je fis volte face en sursautant.

    Un vieil homme était assis sur le banc de pierre. Sans ses cheveux blancs comme neige et la sérénité que dégageai son visage, la phrase précédente n’aurait point eu de sens, car on ne lui aurait pas donné plus de trente ans. Pour cela, il aurait fallu que ses yeux bleus soient moins énergiques, que son dos soit moins droit, que son port soit moins aérien. Oui, c’est cela : cet homme était aérien, comme un nuage incarné en chair et en os. Il était vêtu d’une longue robe, semblable à celles que portaient les moines moyenâgeux, entièrement blanche, qui mettait en valeur l’aura lumineux dont il était drapé. Et il avait aussi un petit pins bleu accroché au niveau de la poitrine, qui détonnait furieusement sur son habit.

    -Oh, continua-t-il, je ne dis pas ça pour t’embêter, mais les choses qui se trouvent derrière ces portes ont rendu plus d’un homme fou. La folie est quelque chose de plutôt fâcheux, si tu veux mon avis.

    Il conclut sa tirade par un sourire gentil qui acheva de me tranquilliser. Je faillis me mettre à glousser. Plutôt fâcheux ? C’était l’euphémisme de l’année ! Je me dirigeais vers lui et pris place à ses côtés, non sans glisser un regard nostalgique vers le temple. Une autre fois.

    -Alors ? questionnais-je d’un ton fatidique quand j’eus pris place à côté de lui. 

    -Alors quoi ? répliqua le vieil homme, étonné.

    -Eh bien, le verdict ! Je vais au paradis ou en enfer ? D’après ce que j’ai compris, il y a des Juges pour faire cela, mais apparemment, j’ai sauté une étape. Personnellement, je penche plutôt vers l’enfer, vu ce que j’ai fais, dis-je, triste mais résignée.

    Le vieil homme ne répondit pas tout de suite, trop occupé qu’il était à se tordre de rire. Cela me contraria ; c’était de mon destin qu’on parlait !  C’était sérieux !

    Au bout de quelque secondes, il parvint à se calmer, même s’il conserva un petit sourire réjoui sur le bord des lèvres.

    -C’est bon, vous avez fini ?

    -Excuse-moi, excuse-moi, dit-il en essuyant une petite larme au coin de son œil.  Ce n’est pas tous les jours que l’on tombe sur des personnes si pressées de partir En Bas. Non, non, je ne suis pas là pour décider de ton destin, ce n’est pas de mon ressort. Si je suis là, c’est pour t’offrir une alternative.

    -Une alternative ?

    -Oui, et cesse de m’interrompre, je te prie, ce que je vais te dire est important.

    J’approuvai d’un hochement de tête, m’assis en tailleur face à lui, et cueillis un petit brin d’herbe que je déchiquetais impatiemment en attendant les réponses, qui, enfin, venaient à moi.

    -Tu as donc déjà compris que tu étais morte. Crois-moi, ce n’est pas si évident : la plupart des morts prennent beaucoup de temps à vouloir nier la vérité pur et simple. Sûrement un réflexe de leur vivant, fit-il songeur, avant de reprendre sa phrase : tu as aussi compris que tu n’avais pas suivi le parcours «normal » -Dieu seul sait à quel point je déteste ce mot- du mort moyen; en effet, cela est rare, mais loin d’être nouveau. Si tu es ici, c’est sur les ordres d’En Haut, et crois-moi quand je te dis qu’En Haut, dans ce monde, n’est pas une expression utilisée à la légère.

    Je m’apprêtais à le couper de nouveau, trop de questions se bousculant en moi pour pouvoir me contenir, mais il m’en empêcha en posant sa main sur mon genou et en se penchant vers moi, l’air grave :

    -Tu as été choisie, Eyline Calembre, pour expier tes fautes et peut-être ainsi trouver le Repos Éternel.

    J’eus le souffle coupé. Cet homme venait de m’offrir mon désir le plus profond sur un plateau d’argent. Il devait y avoir un piège.

    -Et qu’est ce que vous aurez en échange ?

    -En échange ?

    -Oui. Vous m’offrez une chance de rectifier ma plus grande erreur. Je veux savoir ce que vous demandez contre cet inestimable cadeau !

    Il partit d’un nouvel éclat de rire.

    -Je ne trouve pas ça drôle !

    -Moi si. Un jour, Eyline Calembre, un jour tu comprendras.

    -Alors ? Quel est votre prix ?

    -Ça.  Ta détermination à t’amender de tes pêchés t’honore, et c’est l’une des choses qui montrent à quel point tu es précieuse pour notre cause. Ainsi, si tu acceptes ce contrat, tu seras envoyée dans un centre d’entraînement spécial, ou tu seras préparée pour le terrain. Car, ma petite, le seul moyen de rembourser une vie prise est d’en sauver d’autres...

    Je pris quelques instants pour digérer ce qui se passait. Lentement, pendant que je me frottai les mains pour me débarrasser de la bouillie verte qu’était devenu le brin d’herbe, le nœud d’émotion refoulées depuis cette fameuse nuit glissa de mes épaules, se faufila jusqu’à mon cœur, ou il put enfin éclater en toute liberté. Et je ressentis alors de l’espoir, beaucoup d’espoir : je pouvais sauver des vies ! Je pouvais sauver ce vieil homme que j’avais tué des dizaines de fois si je le voulais, car  on m’en donner enfin la possibilité ! Je sentis les larmes me monter aux yeux, et pour la première fois de ma vie, ce furent des larmes de joie.

    -Qu’en dis-tu ? Tu acceptes ?

    -Oui… Oui. Oui ! Merci !

    Sans plus pouvoir tenir en place sous peine d’exploser, je me levais et commençais une petite danse de joie passablement ridicule. J’en fus même jusqu’à enlacer le vieil homme, qui me rendis mon étreinte, hilare.

    Quelque minutes plus tard, quand je me fus calmais, nous reprîmes notre conversation :

    -Quand est ce que je peux partir ?

    -Du calme, petite, chaque chose en son temps. D’abord, pose-moi toutes les questions qui te passent par la tête ; Nous n’aurons sûrement plus l’occasion de parler avant un bon bout de temps, après ton départ.

    Je me creusais la tête, en essayant de retrouver les questions qui se bousculaient dans mon esprit à peine cinq minutes auparavant. Mais où étaient-elles quand on avait besoin d’elles ! Eh puis, soudain, je e rappelais :

    -Est-ce que je peux voir ma mère ? Elle est bien ici, non ? Et cet homme que j’ai tué ? Je peux leur parler ? dis-je, tremblante d’excitation.

    Alors il me regarda, et dans ses yeux millénaires je vis une tristesse si profonde, si lasse, que la réponse s’imposait d’elle-même.

    -Ne dites rien. Ce n’est pas possible, n’est ce pas ?

    -Ils sont partis vers un endroit meilleur, si cela peut te consoler.

    Je fermai les yeux. Je ne voulais plus rien voir, je ne pouvais plus, plus… On m’avait tiré dessus avec une balle empoisonnée, et le venin se répandait à présent dans tous mon corps, brûlant sur son passage  mes rêves, mes espoirs, ma volonté…

    Je suppose que si cette nouvelle m’atteignit si profondément, c’est parce que l’on pense tous que l’on retrouvera ses proches, quelque part, après le Grand Voyage. Qu’ils ne disparaissent pas juste « comme ça ». C’est cet espoir qui nous permet d’avancer, de nous remettre de cette disparition si brutale et si désespérément définitive qu’est la mort. Et je ne pouvais même plus m’accrocher à cette maigre consolation…

    Je sentis quelque chose sur mon épaule. Quelque chose de chaud, de rassurant, une ancre… Une main. Laissez-moi tranquille ! Je veux mourir, non, je veux disparaître, je ne veux plus exister. Exister est si douloureux.

    Une voix douce me sort de ma transe, et j’ouvre de nouveau les yeux. Le paysage a pâti de mon désespoir : les branches des arbres se sont racornies, toutes leurs feuilles sont tombées, et de petits cadavres d’oiseaux trainent entre leurs racines. Le ciel s’est couvert de nuages d’orage menaçants, et même le temple semble dangereux, avec les ombres que l’on entraperçoit désormais en son sein.

    C’est moi qui ai fait tout cela ? Et puis, quelle importance. Je suis toute seule à présent, vraiment seule, désespérément seule.

    -Arrête ! Crie le vieil homme.

    Je tourne mes yeux mornes vers lui. Que me veut-il ? Pourquoi ne pars-t-il pas ? Je veux être seule. Je ne veux plus jamais m’attacher.

    -Ce n’est pas ainsi que l’on règle ses problèmes. Ce n’est pas en s’enfermant que l’on vainc la solitude, ce n’est pas en détestant que l’on apprend à aimer. Et ce n’est certainement pas cela que ta mère aurait voulu que tu fasses !

    -Qu’est ce que vous en savez ? Répliquais-je agressivement.

    J’étais agacée par le malaise que ses propos ont fait naître en moi.

    -Parce que je l’ai vue, me répondit-il.

    Le monde reprit son cour. Mon regard dériva sur son pins.

    "St Pierre, archange suprême"

    Ah.

    _____________________________________________________________________

    Bon, voilà enfin la suite de ce roman. J'ai décidé d'ailleurs de l'arrêter pour le moment, car je ne ressens plus aucun plaisir en l'écrivant (je pense que ça se voit à la qualité médiocre de ce chapitre), et  que j'ai d'autres projets sur lesquels je dois me concentrer. Peut-être le rependrais-je plus tard, qui sait ? Merci à ceux qui ont lu, lâchez un com's pour dire ce que vous en pensez :)


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  • Musique à l'origine de cette vidéo (Echoman, Zero Gravity)

    Je cours sur les toits du monde.

    Je cours, je frappe les sommets de mes jambes, aussi régulières qu’un tic-tac. Je file sur les toits de Pent’Astu, et mon rire est un cadeau aux étoiles. Je fends le vent et j’ai l’impression de n’avoir aucunes limites. Le ciel, paré de son plus beau manteau bleu  à perles nacrés, m’enveloppe comme un linceul.

    Mais le bord du toit approche ; en dessous, c’est le vide, c’est la mort. J’éclate de nouveau de rire. Ils pensent qu’ils peuvent m’attraper ? J’approfondis  mes foulées et m’élance au dessus du vide, le corps tendu comme un arc, les bras en croix. Une seconde, je suis un ange. Celle d’après, je coule comme une pierre. J’étends mon bras vers une barre de métal plantée dans le mur, verrouille ma main dessus, et laisse la gravité faire le reste. Mon bras se tend, mon épaule est brouillée sous la pression de mon corps. Puis, mes jambes se balance vers l’avant, je contracte mes abdos en feu, et j’exécute un salto arrière parfait qui me laisse accroupie sur le sol. Poum. Poum. Poum. Trois battement de cœur, et je suis de nouveau une flèche qui file entre le dédale des minuscules ruelles  de pierre des vieux quartiers. Cette flèche a une cible : l’Arche des Aigles.

    Ancienne église Gothique, survivant vaillamment aux cinq siècles de son existence, l’Arche avait dû plier ses tours sous la violence de La Guerre des Sang. Désormais pas plus qu’une imposante ruine d’une dizaine de mètres de haut, les prières qu’elle protégeait se sont muées en murmures, à peine tangible, des souvenirs qui cimentent ses pierres.

    C’est le défi parfait.

    Je m’arrête au pied de l’arche, le souffle à peine altéré. Courir est aussi naturel pour moi que respirer. Ne suis-je pas celle qui déchira la lumière pour annoncer la nuit originelle aux mortels ?  Le ciel est une grande étendue, et je n’ai pas eu beaucoup de temps pour le parcourir. La seule qui aurait pu prétendre me disputer le monopole de la vélocité (à tort, bien évidemment)  était mon idiote de sœur jumelle, Nymin. Qui ne m’embêterais plus pour un certain bout de temps… Cette pensée me provoque un nouvel éclat de rire, farouche, mauvais, et si puissant qu’il explose les vitres alentour.

    Je lève la tête vers le sommet du monument. Celui-ci semble s’allonger sous mon regard, se gonflant d‘importance, dans une tentative d’intimidation inerte. Quelle sottise. Je semais déjà la discorde chez les mortels qu’il n’était que galets éparpillés aux confins du monde.

    Avec un sourire confiant, je pose main droite sur la pierre, fraîche et rugueuse sous mes doigts, que je laisse paresseusement glisser vers le bas, jusqu’à que je crochète une petite aspérité sur la façade. Cela suffira. Je commence à me hisser le long de la paroi, calant mes pieds et mes mains sur des saillies minuscules, n’hésitant pas à encourir tous les risques, à utiliser toutes les ressources de ce corps pour attraper des prises lointaines. Mes efforts payent leur dû : je progresse à une vitesse quasi surnaturelle, avec une agilité que peu d’humains pourraient égaler. L’air de la nuit fouette mes bras nus tandis que le sol s’éloigne sous mes pieds, et bien vite un froid polaire m’engloutit. Un froid qui ne peut pas m’atteindre.

    J’en suis déjà aux trois quarts de la distance à parcourir.  A ma place, n’importe quelle personne normalement constituée aurait les muscles des bras tétanisés, le souffle coupé par le manque d'oxygène, les doigts trop engourdis pour pouvoir continuer. N’importe quelle personne aurait sûrement regardé vers le bas, et l'aurait rejoint tôt où tard, arrêtant le calvaire qu'elle endurait de gré où de force.

    Je ne suis pas n’importe quelle personne.

    Mes muscles à moi sont à peine échauffés, et mes doigts ne me font jamais défaut. Si je regarde en bas, c’est parce que les aigles m’effleurent de leurs ailes pour me souhaiter la bienvenue sur leur territoire. Il ne reste plus qu’une dizaine de centimètres, que je franchis avec joie.

    Désormais debout, je déambule sur la cime du monde. Je regarde avec satisfaction mes bottes en cuir piétiner l'univers réduit qui se déroule quelque mètre plus bas. J’avais décidément dormi pendant beaucoup trop longtemps ; les mortels ont commencés à oublier la crainte ancestrale que la nuit doit inspirer… Je me ferais un plaisir de leur rappeler. Mes mains tremblent d’excitation devant toutes les possibilités qui s’offrent à moi. Épidémies ? Super-prédateurs ? Catastrophes climatiques ? Les trois ? Tu as tout ton temps à présent, me morigénais-je intérieurement. Tout ton temps. Ne le gâche pas en joies futiles !

    Non, ce soir est un soir de plaisir. De fête, plus exactement. Les Tunderblakes sont revenus ! Entendez-vous, mortels ? Bientôt, votre monde ne sera plus que ruines et désolation, peur et colère, survie au détriment du reste. Bientôt, vous paierez vos crimes au prix du sang, conclus-je avec une rancœur infinie.

    Je stoppe à l’aboutissement de la fine passerelle de pierre, et fais volte-face en glissant sur les talons. Devant moi, une jetée de pierre qui se lance dans un océan d’étoiles, un passage vers un infini que seuls les aigles sont autorisés  à parcourir. Le ciel est si beau… J’avais oublié que son bleu était capable de vous engloutir si totalement, si profondément, de vous pénétrer jusqu’à faire partir de vous. L’espace est fait de vide, le même vide qui sépare nos cellules. Au fond, nous sommes tous,  humains comme dieux, fait d’un petit bout de ciel…

    Je commence à courir, vite, vite et fort. Je savoure chaque foulée, chaque poussée qui m’éloigne un peu plus du passé. Courir, ne jamais regarder en arrière, juste courir, tracer une trainée de feu dans le ciel de la vie, telle une étoile filante. Incandescente.

    Un éclair d’euphorie tonne de nouveau en moi et c’est en pleurant de rire que je bascule vers le vide, une nouvelle fois. Je tombe bras et jambes écartés, et l’air fuse autour de moi comme un geyser. Les aigles se joignent à moi et entame un ballet de plumes dont je suis l’artiste centrale, nos voix mêlées entonnent une ode à la vie.

    Je suis folle. Je suis libre.

    Je suis Amaury.  


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  • Ma participation au concours de Naeri [Pretty Lies], qui termine le 14 Aout (inclus) ;)

    Good Night Jack

    Assis dans l’herbe, le dos nonchalamment appuyé contre une pierre tombale dissimulée dans l’ombre d’un grand chêne solitaire, Garett Jones attendait quelqu’un. Le rendez-vous était fixé à minuit, mais il était venu plusieurs minutes en avance, de manière à voir sa proie approcher de loin. Cette froide nuit de Janvier 1889 véhiculait beaucoup d’espoir pour Garett ; parviendrait-il enfin à se venger de l’homme qui avait massacré sa famille ?  Sur cette plaisante pensée, il tira une longue bouffée de son cigaret qui coûtait une fortune au bureau de tabac du coin. Les Français ont peut-être des goûts exécrables en matière de nourritures, pensa-t-il, mais leur tabac vaut la peine d’être fumé. Heureusement, grâce à une acquisition très récente, Garett pouvait en profiter de manière gratuite et illimitée.

    Enfin, deux minutes exactement avant minuit, une ombre se profila entre les macchabés. Une ombre étonnamment  agile en dépit de sa corpulence, dont la lune noire refusait de révéler le faciès. Qu’importe, je connais son visage aussi bien que le mien.  L’ombre s’arrêta, scrutant les alentours à la recherche de Garett, mais son regard glissa sur lui sans le voir. A la seconde où les épaules de l’ombre se détendirent,  la voix claire de Garett s’éleva dans le cimetière, se délectant du léger sursaut  qu’elle provoqua chez son interlocuteur :

    -Je ne pensais pas que vous viendriez. Venez donc vous asseoir avec moi, nous avons un tas de choses à nous raconter.

    Le regard de l’ombre se précisa sur Garett  et il prit place à côté de lui. Le bout incandescent du cigaret transforma l’ombre en un homme dégarni aux bajoues dodues et aux yeux froids comme la mort. Ils se dévisagèrent tous deux pendant un instant, puis l’homme éclata d’un rire rauque, dénué de tout humour.

    -Alors c’est toi qui m’as découvert. J’aurais du m’en douter; tu es beaucoup trop intelligent pour ton propre bien. Quel dommage que tu ne survives pas à ce soir… Mais d’abord, dis-moi pourquoi tu m’as convoqué ici au lieu d’aller directement voir les flics. Tu comptais me faire chanter ?

    Garett répondit par un sourire énigmatique, et proposa à l’homme son cigaret, qu’il accepta avec grâce. Quand celui-ci eu fini de cracher sa fumée en direction de la lune, Garett reprit la parole :

    -Dites-moi, Mr Hutchinson, mon visage vous dit-il quelque chose ?

    L’homme fronça les sourcils, surpris par la question.

    -Bien sûr que oui, Mr. Jones. Vous êtes mon assistant depuis … près de six mois, non ? 

    -Non, Mr Huchinson, non. Regardez mieux. Mon. Visage. Vous. Dit. Il. Quelque. Chose ? articula lentement Garett, qui soudain peinait à réfréner sa colère. Il avait récupéré son cigaret, qu’il broyait désormais entre ses doigts.

    Intrigué, l’homme se pencha en avant et examina minutieusement le visage de Garett, décortiquant chaque détaille de sa morphologie. Il passa même les doigts sur son crâne, entre ses boucles noirs, sur sa gorge, jusqu’à ce que la lumière se fasse dans son esprit. Un sourire se dessina sur ses lèvres minces, et il se ré-adossa lentement  contre la pierre tombale.

    -C’la alors si je m’y attendais. Un des petits bâtards de la Strike. Alors comme ça, l’incendie que j’avais provoqué ne t’a pas réduit en cendres, hein ? Je n’ai malheureusement pas eu le temps de m’amuser sur ta mère, mais Dieu a visiblement décider de m’accorder une deuxième chance. Par chance pour toi,  je suis d’humeur bavarde aujourd’hui, tu auras donc un peu de répit avant ta fin : explique moi donc ce qui m’a trahi ?

    -J’ai toujours su que c’était vous. Quand ma mère est sortie cette nuit-là, j’ai décidé de la suivre pour savoir où elle se rendait tous les soirs.

    -Alors, comment ça fait de découvrir qu’on est un fils de pute au sens propre du terme ?  L’interrompit l’homme, une lueur moqueuse dans ses yeux noirs.

    Garett ignora la provocation, est continua d’une voix monocorde.

    -Je l’ai filé jusqu’à Bernerd Street, où je l’ai vu s’engager dans une petite ruelle. J’étais fatigué et frigorifié, alors je me suis approché pour lui demander de rentrer avec moi. Et c’est là que je vous ai vu l’égorger, puis prendre la fuite lorsqu’une calèche a déboulé. J’ai attendu, trop choqué pour réagir ; je ne voyais que le sang jaillissant de son cou. Le corps humain contient environ cinq litres de sang, le saviez-vous ? Ce jour là, cela m’a semblé beaucoup plus. Quand j’ai repris conscience de ce qui m’entourait, j’ai couru à la maison pour aller prévenir mon père et mon frère. Tout ce que j’ai trouvé fut un immeuble en feu, et les cadavres calcinés de ma famille à l’intérieur. Je ne me rappelle plus très bien des moments qui suivirent, juste d’un inspecteur qui me posait des questions auxquelles  je ne pouvais pas répondre. La suite de ma misérable existence s’est résumée à un défilé d’orphelinats et de maisons d’accueil, et à une seule image : votre visage. Vous pouvez vous vanter d’avoir été la seule raison d’exister d’une personne, Mr Huchinson, dit Garett d’un ton qui signifiait bien que c’était tout sauf un compliment.

    « J’ai passé ma vie à vous chercher, à traquer la moindre trace de votre existence ; en vain. Trouver une personne parmi un million d’habitants est une tâche qui frise l’impossible… Jusqu’à ce que je découvre cette petite annonce de travail dans The Times, avec votre photo adjointe. J’ai été tenté de vous tuer directement, mais je me suis dit qu’un grand salaud méritait une grande fin. »

    Alors je me suis immiscé dans votre monde, je vous suis devenu indispensable ; j’ai appris votre histoire comme la mienne, je me suis rendu à chaque lieu où vous avez vécu, où vous avez seulement été ; j’ai pris connaissance de toutes vos habitudes, de tous les détails qui régissent votre vie, de votre tic au sourcil gauche jusqu’à votre marque de rasoir. Je vous connais mieux que vous ne vous connaissez. »

    L’homme se remit à rire grassement, coupant Garett pour la deuxième fois. Quand son hilarité se dissipa enfin, il reprit la parole, non sans essuyer des petites larmes de joies.

    -Quel baratin touchant. Ta mère était une catin, elle a bien mérité ce qui lui est arrivé. Quant à ton débile de père et ton bâtard de frère, je n’ai jamais vu de feu de joie aussi jouissif que celui qu’ils ont produit.  Ah, et ces histoires à dormir debout étaient censées me faire peur ? Je crois que je mérite un prix pour m’être retenu de bailler tout du long. Maintenant, voyons voir si je peux t’extirper les larmes que ta môman n’a même pas été capable de produire…

    L’éclat brillant d’un couteau de boucher captura la lumière des étoiles tandis qu’il coulissait tranquillement hors de son fourreau. Le dernier son que mère aura jamais entendu, pensa tristement Garett.  Un son que plus personne n’entendra jamais, ajouta-t-il férocement.

    Garett soupira, écrasa son cigaret sur le sol et plongea tranquillement ses yeux bleus dans les prunelles du tueur.

    -31 10 18 88.

    L’homme se figea.

    -Répète un peu ça ?

    -31 10 18 88. La date de votre premier meurtre. Ce ne fut pas facile de trouver votre coffre –la vieille boucherie de votre père, huh, il fallait y penser- mais le code était ridiculement prévisible. Tout le magot que vous avez amassé grâce à vos différents bordels a été généreusement redistribué à vos … employées… qui sauront en faire bonne usage dans un métier plus honorable, j’en suis sûr.

    -Tu mens, affirma l’homme.

     Mais sa peau, qui blanchissait à vue d’œil, démentait son aplomb.

    -Oh, et toute vos réserves clandestines de tabac –fort goûteux, au demeurant- ont été vidées, puis revendues à un fort bon prix. Les gains ont été charitablement versés à l’orphelinat St-James de Bernerd Street. Ma foi, cela a été plutôt facile de convaincre vos employés de me laisser, moi, votre assistant le plus fidèle, œuvrer en votre nom. Moi non plus, je ne sais pas ce qui lui a pris, à ce bon vieux Huchinson, mais vous savez comment il est, plus-lunatique-tu-meurs. Bon, si vous ne voulez vraiment pas, je lui demanderais de passer, il en sera fort embêté… Je dois d’ailleurs vous féliciter, se moqua Garett en applaudissement sarcastiquement, vous terrorisez vos employés plus profondément qu’aucune arme à feu ne pourrais le faire, Mr Huchinson. Ou devrais-je dire Jack L’éventreur ? C’est l'un de vos surnoms dont la presse use et abuse, n’est-ce-pas ?

    Les deux hommes se tenaient debout, à présent, chacun brûlant de haine pour l’autre. Le tueur en série tenait son couteau avec l’adresse de celui qui savait s’en servir. Garett, pour sa part, s’était mis en position de combat et son expression ne trahissait aucune crainte.

    -Je ferais durer le plaisir toute la nuit, lui promit l’assassin. Je t’éviscérerai, je…

    -Parlerai jusqu’à me tuer d’ennui ? Venez, Mr Huchinson, venez. Je suis prêt depuis quatre ans.

    Avec un cri de rage, l’homme se jeta sur Garett, qui l’évita d’un pas de côté. Rapidement, il analysa la position de son adversaire. Equilibre mal réparti, tout sur la jambe gauche. Bras non-protégés. Colère diminuant la capacité de concentration.

    Parfait.

    Il commença par lui attraper le poignet gauche –celui qui maniait l’arme- et le tordit violemment vers l’intérieur. Poussant en cri de douleur, Mr. Huchinson lâcha son arme et tenta de riposter avec un crochet droit, que Garett para sans mal. Ensuite, il cala son pied droit derrière la jambe gauche du tueur et lui fit perdre son équilibre dans une prise de judo classique. Pour finir, il l’immobilisa complètement contre le chêne solitaire et sortit un fin coutelas de sa manche qu’il plaqua sur la gorge de l’assassin.

    Il le tenait à sa merci.

    -Alors, Mr Huchinson, qu’est ce que ça fait de se retrouver du mauvais côté du couteau ?

    Le tueur en disgrâce garda le silence, ses yeux noirs furetant dans tous les sens en quête d’une échappatoire.  Son regard stoppa quelque secondes sur quelque chose, puis il détourna les yeux, comme s’il s’efforçait de distraire Garett de cet objet. Garett suivit son regard jusqu’à une tombe fraîchement creusée, au fond de laquelle se trouvait un lourd cercueil en granit, son couvercle devant peser plus de 500 kilos. Le genre de cercueil dont personne ne pouvait sortir…
    Avec un sourire noir, Garett scruta tranquillement le visage de l’homme dont les mains étaient tachées du sang d’une dizaine de personnes, dont les yeux avaient froidement observé leur souffrances, exempts de pitié…

    -S’il vous plait… S’il vous plaît ! supplia-t-il.

    Mais il n’y avait pas davantage de pitié dans les yeux de Garett.

    Il l’attrapa par le col, lui trancha proprement la carotide, et le poussa violemment au fond du trou. Le terrible Jack l’Eventreur, cauchemar de White Chapel, poussa un dernier cri, un seul, avant que lourd couvercle de marbre ne se referme sur lui.

    Garett passa la moitié de la nuit à recouvrir le cercueil de terre. Chaque pelleté paraissait soulager un peu le poids qui pesait sur ses épaules depuis tant d’années. Il lui semblait que toutes les âmes que ce monstre avait prises étaient regroupées autour de lui et le regardait d’un air approbateur, tandis qu’il ensevelissait définitivement l’un des plus grands tueurs en série que l’Angleterre ai jamais connu. Et les seuls témoins de ce grand acte seraient un chêne solitaire et les nuages orageux de cette fin de saison…

    Quand sa besace fut terminée, il grava quelque mot sur une pierre plate, qu’il disposa à la tête de la tombe, tel un oreiller sur un lit.

    Puis il parcourut le chemin de terre battue qui menait à la sortie du cimetière, effleurant au passage les tombes où Elizabeth, Johnatan et Perry Strike reposeraient à jamais.

    De nos jours encore, si l’on se rend au Cimetière Est de Londres et que l’on cherche, sous un grand chêne solitaire, une pierre plate pas plus grosse qu'un melon, on y trouve ces mots : « Good night, Jack ».


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  • Chapitre  4: Paré au décollage                                      

    Au début, il ne se passa rien. L’ascenseur n’avait pas changé d’un iota, si ce n’est qu’à présent, le bouton ne clignotait plus.

    -Qu’est ce que… Commençais-je.

    Mais le corbeau, comme à son habitude, me coupa la parole :

    -Rrrah, foutue vieille machinerie, maugréa-t-il, foutu service de maintenance, foutu vieil ascenseur  rouillé ! Je leur avais dit, moi, à ces p’tits branleurs de techniciens, de la rénover, cette obsolète foutue barque ! Je leur avais bien dit ! Mais est ce que quelqu’un m’écoute jamais ? Non ! Huit milles années de bon et loyaux services pour en arriver à se faire traiter à peine mieux que la racaille du sous sol ! Je leur dirais moi que…

    Lancé à fond dans sa diatribe endiablée, il revint sur son perchoir qu’il se mit à arpenter de long en large, battant rageusement des ailes à chacun de ses pas. Ses croassements indignés résonnaient fortement dans le petit habitacle, sans pourtant parvenir  à recouvrir le sinistre grincement qui semblait provenir de  toutes les parois. L’ascenseur avait commencé à produire ce bruit vers le milieu de son discours,  et il s’intensifiait d’une inquiétante manière.

    -Euh, monsieur…Tentais-je d’abord de le prévenir, lançant un regard affolé au sol de la cabine qui avait commencé à trembler.

     Mais l’oiseau était bien trop occupé à maudire ces « foutus p’tits bon à rien de technicien », et leur mère, et leur grand-mère, et apparemment toute personne ayant un lien de parenté avec eux pour ce rendre compte que le sol de la cabine vibrait de plus en plus fort tandis que l’effroyable hurlement métallique s’intensifiait jusqu’à devenir assourdissant. Les lampes clignotèrent, plongeant l’ascenseur tantôt dans une douce lumière rassurante et tantôt dans une obscurité totale. Je commençais à craindre pour ma vie, où plutôt, pour ma mort. Pouvions-nous mourir une deuxième fois ? Ou allions nous dans ces cas la ? Pourquoi, par tous les diables, avais-je suivi ce maudit corvidé ?

    -Monsieur ! Insistais-je, paniquée, en tentant vainement de trouver un objet auquel m’accrocher pour ne pas être jeté à terre par les vibrations de l’appareil.

    L’ascenseur se mit alors lentement en branle, dans une plainte à s’en écorcher les oreilles. Le corbeau stoppa enfin son monologue courroucé et parut se rendre compte du chaos de la situation actuelle. Au lieu de paniquer, ou seulement de paraître préoccupé comme il aurait était normal, il poussa un croassement de joie et enroula ses serres fermement autour de son perchoir.

    -Comme je disais, accroche ta ceinture, ça va enfin décoller ! Youhouuuuuuu ! Hurla-t-il, ayant apparemment oublié qu’il était en train de maudire tout le service technique, tandis que l’ascenseur prenait de plus en plus de vitesse.

    Bientôt, il alla si vite que je fus projeté à terre. Vous savez, cette sensation que vos entrailles deviennent super légère quand vous descendez à toute vitesse une montagne russe ? Eh bien là, c’était exactement le contraire. Mes entrailles paraissaient vouloir se sceller au sol tandis qu’un millier de tonnes m’aplatissaient le corps contre la moquette, et cette vertigineuse sensation s’aggravait à mesure que nous prenions de la vitesse. Autant dire que cela n’allait pas en s’arrangeant…

    Le corbeau, lui, était euphorique. Il continuait à pousser des cris de joie, les ailes collées au corps pour éviter de tomber, et répéter sans cesse que c’était la meilleure chose qui lui était arrivée depuis plus de cinquante ans. Ce  fou ne paraissait pas se rendre compte que la plainte de l’appareil devenait de plus en plus aiguë, qu’il ne cessait d’accélérer et que si cela continuait ainsi, nous allions nous écraser à plus de deux cent km/heure sur le plafond de la cage d’ascenseur, si toutefois il y en avait un… L’idée de me retrouver catapultée dans l’espace dans un ascenseur de luxe avec un oiseau complètement fou me traversa brièvement l’esprit, avant que mon estomac ne me rappelle à l’ordre. Oh non, j’allais vomir…Ou mourir…Ou les deux… 

    Mon supplice prit fin quand l’ascenseur s’arrêta soudain, si brusquement que tout mon corps fit un petit bond de quelques centimètres dont je retombai avec un « ouch » de douleur. Je restai quelque secondes affalée sur le sol, trop affaiblie par mon mal-être pour bouger, avant de réussir à me remettre tant bien que mal sur mes deux jambes.

    Les portes s’ouvrirent dans le même petit ding aigu que la dernière fois –même s’il paraissait plutôt ironique, maintenant – et je sortis à la suite du corbeau, qui lui s’était gaiement envolé de son perchoir en fredonnant une chanson paillarde, pas le moins du monde affecté par nôtre folle péripétie. Mes jambes à moi tremblotaient et mon cœur battait à cent à l’heure, mais j’étais indemne tout de même.

    Nous pénétrâmes dans un couloir étroit, aux murs verts sombres écaillés qui donnaient une impression étouffante, faiblement éclairés par un plafonnier fatigué. Il y n’y avait que quatre porte, deux à droite et deux à gauche. Elles étaient toutes dans un état de délabrement avancé, à part celle du fond à gauche, dont l’ébène vernis brillait d’une lueur discrète.  Le corbeau voleta dans sa direction, et se percha sur un petite barre en bois scellée dans l’encadrement, sûrement construite à sa disposition. Sur la porte, il y avait un petit écriteau : « Bureau de St Pierre,  Directeur Général du Passage et des Longes, Archange Suprême, Membre Permanent du Conseil d’Or. Prière de ne pas déranger entre 14h et 16h30. » Je m’apprêtai à frapper, tout en me demandant que diable pouvaient être le Conseil d’or et si une Longe était comestible (cela, c’était plutôt mon estomac qui se le demandait), quand le corbeau m’interpella :

    -Attends une minute, petite.

     Je tournai mon regard vers lui, mes lèvres dessinant le « quoi, encore ! » qu’elles s’apprêtaient à proférer, mais je me ravisai devant sa mine sérieuse. Il avait la tête légèrement penchée sur le côté, et la lumière tenue des la lampe révéla des reflets bleus irisés sur ses plumes noires. Il scruta longuement mon visage, comme y cherchant quelque chose. Alors, pour la première fois depuis le bref moment que je le connaissais, il me parla sans ironie, sans ruse, juste avec une gravité solennelle :

     -Ecoute, petite. Je sais ce que tu penses de moi. Tu me vois comme un vieil oiseau fou et gâteux, passant son temps à couper la parole des gens et n’aimant rien plus qu’écouter le son de ses propres croassements. Et tu as raison.

    Je fis une moue coupable, mal à l’aise. Oui, c’est vrai, ces pensées avaient effleuré mon esprit, mais…

    -Cependant, je ne suis pas né de la dernière pluie, loin de là, continua-t-il, et j’avais l’étrange impression que ses petits yeux noirs lisaient dans ma tête comme dans un livre ouvert. Je gardais déjà cette barque quand les premiers hommes sont nés et avec eux les premiers dieux, et je serais encore là quand ils auront tous disparus et que les nouvelles espèces jailliront des restes de leurs squelettes.  Telle est ma destinée. Des gens comme toi, durant mon existence, j’en ai vu des milliers, et des gens tout court, des milliards. Et si j’ai un seul conseil à t’adresser, petite, c’est celui là : n’oublie pas qui tu es, et n’oublie pas pourquoi tu es ici. Certaines personnes essaieront de t’influencer, de te manipuler, de t’utiliser. Ne les laisse pas te dire ce qui est bien de ce qui est mal, car tu auras bien vite fait de te retrouver à béqueter d’la bouse au lieu des vers.

    Nous restâmes un instant à nous dévisager, tandis que j’essayais d’assimiler ce qu’il venait de me dire, et non sans mal. Je ne comprenais pas. En quoi cela pouvait m’aider ? Je voulais bien, moi, ne pas oublier ce que je faisais ici, mais il fallait déjà savoir ce que je faisais ici ! Et moi en train de béqueter de la bouse était une image que j’aurais préféré ne jamais avoir dans mon cerveau.

    -Tu ne comprends pas, constata-t-il. Va, ne te torture pas les méninges avec les réflexions stérile d’un vieux fou, cela ne te servirai à rien. Garde juste mon conseil précieusement en mémoire, veux-tu ? Peut-être t’aidera-t-il un jour à prendre la bonne décision.  Attends-moi là.

    Avant que je ne puisse demander des explications, il sauta sur la poignée et s’engouffra à travers la porte, qu’il me claqua au nez. Le message était clair. Attends sagement ici jusqu’à qu’on viennent te chercher.

    Pendant quelques secondes, je restais devant la porte, incrédule. Alors, c’est tout ? On me claquait la porte au nez, sans aucune autre explication que : « attends-moi là » ? Et dire que j’avais commencé à l’apprécier, ce satané piaf ! Je fus tentée de rentrer quand même dans le bureau, mais je me ravisais en me rappelant à qui il appartenait. Il y avait des gens qui s’étaient fait condamner à des souffrances éternelles pour beaucoup moins que cela, dans la bible. Brûler à jamais dans les flammes de l’enfer n’était pas un sort qui m’attirait beaucoup.

    Je me résignais donc à la patience, et réexaminai le petit couloir. Il était toujours aussi décrépi et peu accueillant, et je surpris même un cafard qui gambadait joyeusement entre les lames de parquet. Charmant. Le nez plissé de dégoût, je découvris qu’il y avait, tassés dans l’angle du fond, une petite chaise en métal pliante et un tas de magazines posés à même le sol. Trop fatiguée pour me rendre compte qu’ils n’étaient pas à peine cinq minutes plus tôt, je me laissai tomber sur la chaise avec reconnaissance et enterrai ma tête entre mes bras, les coudes posés sur les genoux.

    Maintenant toute seule, et sans autres occupations que regarder le cafard qui continuait à cabrioler allégrement sur le parquet, je me sentais vidée de toute mes forces, et une migraine commencer à poindre au niveau de mes tempes. J’avais envie de pleurer. Pas parce que j’étais morte – je n’avais rien à regretter de mon ancienne vie, surtout maintenant que je savais qu’il y avait « quelque chose » après – mais justement à cause de ce « quelque chose ». Ce « quelque chose », que j’étais incapable de définir avec des mots, ressemblait moins à une « suite » logique qu’ à un de ces rêves bizarres qu’on faisait après avoir consommer trop de sucreries avant de se coucher. La tête plongée dans mes avants bras, j’agrippai mes cheveux et les serrai jusqu’à la douleur, tout en me mordant la lèvre inférieur pour éviter de pleurer. Je ne devais pas pleurer.

     Analyse la situation comme tu le ferais avec un problème de maths. Sépare les éléments,  comprends les, met les en relation, regarde le nœud dans sa globalité. Je ne savais pas d’où venait cette petite voix sereine qui m’avait soufflé ces mots, mais elle me fut fort secourable. Je fermai fort les yeux, et m’imaginai un énoncé sur mon cahier de maths, comme les milliers d’énoncés sur les milliers de cahiers de maths que j’avais pu voir durant ma courte vie. Je vis même s’écrire les phrases dans une typographie noire basique, florissant sous mon doigt qui suivait la ligne telles des champignons après l’averse.

    « La magnifique intelligente meurtrière petite Eyline se fait écraser par un véhicule de transport commun lancé à 70 km/h sur une route urbaine. Elle éclate en milles morceaux se fait déchiqueter meurt décède et se retrouve dans un ascenseur avec environ 50 personnes dont un psychopathe au moins. Ces personnes brillent plus que le soleil à midi en Afrique possèdent un éclat surnaturel, et sont probablement décédées elles aussi. Quand la main de la petite Eyline de retrouve en contact avec l’épaule du psychopathe d’une de ces personnes, elle procède à un voyage astral à l’intérieur du corps dudit psychopathe de ladite personne. Elle y entend parler de Juges et d’un ticket et y voit d’autres images pas très catholiques.

    « Après cet impromptu accident, l’ascenseur arrive à destination et une voix de bimbo préenregistrée annonce que l’on s’apprête à pénétrer dans les Longes, sous la juridiction Gardangélique. Mais avant d’avoir pu sortir de  l’ascenseur, la petite Eyline se fait interpeller par un corbeau du nom de sans nom connu. Cet animal dégénéré ce corvidé ne donne aucune information importante à part qu’il la désigne sous le nom d’élue et l’informe de sa présentation imminente à St Pierre et manque de la tuer dans un ascenseur presque aussi dégénéré que lui avant de lui fournir des conseils à deux balles et de la laisser poireauter dans le couloir avec un cafard définitivement trop heureux pour ne pas être drogué que la petit Eyline décide d’appeler Bob. Sur l’écriteau de la porte de St Pierre, on peut lire : Bureau de St Pierre,  Directeur Général du Passage et des Longes, Archange Suprême, Membre Permanent du Conseil d’Or. Prière de ne pas déranger entre 14h et 16h30.

    « La petite Eyline ayant été injustement mise à la porte, nous ne détenons pas plus d’informations pour le moment.

    Questions :

    1)      1)Où se trouve la petite Eyline ?  Pourquoi est-elle et que fait-elle dans cet endroit ?

    2)      2)Si cet endroit est bien ce qu’elle pense, peut-elle y retrouver sa mère ?

    3)      3)L’oiseau a parlé d’élue. Elue de quoi ?

    4)      4)Pourquoi l’amène-t-on voir St Pierre ?

    5)      5)Pourquoi est-elle apparemment la seule à ne pas être au courant de tout cela ?»

    Je décidai d’arrêter là avec les questions : celles-là étaient les plus importantes, ou du moins les plus urgentes à régler.

    Bon, vu que j’étais convaincue d’être morte et qu’il y avait visiblement quelque chose après cela, je pouvais en déduire que je me trouvais sûrement en Enfer (le Paradis n’étant pas pour les assassins) ou quelque chose d’approchant. Cet endroit, même s’il n’était pas très agréable, ne ressemblait pas du tout à l’idée que je me faisais de l’Enfer, si bien que je décidai de l’appeler la Zone X. On arrivait donc à la zone X par un ascenseur, qui contenait environ une cinquantaine de personne par voyage. Me remémorant leur silence songeur et le billet vu dans les pensées du psychopathe, je notai mentalement qu’il y avait probablement un lieu avant l’ascenseur, dont j’avais bizarrement était dispensée.  Je repensai aussi au bref flash aperçu entre les portes de l’ascenseur, au premier arrêt : une sorte d’énorme douane d’aéroport, que la voix de femme avait appelé les Longes. Peut-être était-ce là que siégeaient les fameux Juges ? Qui décidaient sans doute si les défunts allaient au Paradis ou en Enfer ! Complétais-je mentalement, excitée par l’avancé de mon raisonnement. La zone X était donc une sorte d’avant-garde, un filtre à esprits ! Oui, ce raisonnement tenait la route, mais il n’expliquait toujours pas pourquoi je n’avais pas reçu le même traitement que tout le monde. Pourquoi m’étais-je directement matérialisée dans l’ascenseur, n’avais-je pas été informée de tout ce qui se passait ? Tant de mystères en ce bas (ou plutôt haut) monde !

    Mon cerveau tournait à cent à l’heure tandis que mes yeux étaient vaguement fixés sur Bob qui avait commencé à danser une sorte de macarena cafardienne, quand j’entendis le bruit.

    C’était un bruissement léger, délicat, celui du vent d’automne qui secouait doucement les feuilles roussies des arbres pour annoncer l’hiver. C’était un bruit que n’importe qui aurait entendu et qualifié de quelconque, avant de replonger dans ses pensées et de l’oublier à jamais.

    N’importe qui mais pas moi. Car c’était aussi mon bruit préféré au monde.

    Hypnotisée, je me levais de ma chaise et me dirigeai vers la première porte à gauche du couloir -diamétralement opposée  au bureau de St Pierre-, attirée par le bruit tel un rat dans le conte du flutiste d’Hamelin. Je posais la main sur la porte de la poignée, fus saisie par l’hésitation une seconde avant de la tourner. Et si c’était interdit ? Que l’on me surprenait à un endroit où je n’aurais pas du être ?

    Oh, allez ! Maugréa la petite voix intrépide de mon esprit. On ne vit qu’une fois, non ? Ca doit être pareil pour la mort ! Bouge-toi et ouvre cette porte !

    Comme souvent, j’écoutais cette petite voix débile et ses conseils douteux, et ouvrit la porte sans aucune autre pensée envers les conséquences de mes actes. Comme toujours, en fait.

    Mais pour la première fois (et la dernière fois, même si je ne le savais pas encore à ce moment là), je ne regrettai pas cette décision par la suite.

    Car ce que je vis, et fis, derrière cette porte…Cela transfigura ma vie à tout jamais.


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